Ce qu’il faut retenir
Le désarmement de 10 000 ex-combattants et la récupération de 30 000 armes marquent une étape charnière pour la Centrafrique. Alors que 11 groupes armés sur 14 annoncent leur dissolution, Bangui prépare l’élection présidentielle de décembre dans un climat d’optimisme prudent, nourri par l’appui international.
Contexte : de la brousse aux urnes
Depuis la signature de l’Accord politique pour la paix et la réconciliation nationale en 2019, le gouvernement mise sur le programme DDRR pour démanteler les forces rebelles qui contrôlaient jusqu’à 80 % du territoire. Le processus demeure imparfait mais témoigne d’une volonté politique devenue plus lisible.
Le chef de l’État, Faustin-Archange Touadéra, rappelle que « la paix conditionne l’avenir ». La rhétorique est soutenue par des patrouilles conjointes forces armées-Minusca et l’arrivée de conseillers russes, éléments qui ont accéléré la reddition de plusieurs factions naguère insaisissables dans l’arrière-pays.
Les indicateurs humanitaires traduisent ce reflux de la violence : selon l’OCHA, les déplacements internes ont chuté de 18 % en un an, tandis que les marchés hebdomadaires de Kaga-Bandoro et Alindao ont rouvert cinq jours sur sept, signe d’un retour progressif des commerçants.
DDRR : mécanique d’un chantier national
Au cœur du dispositif, 32 sites d’assemblage accueillent ex-combattants et armes saisies. Chaque volontaire est enregistré, puis soumis à un contrôle biométrique avant sa sortie définitive des rangs armés. Les stocks récupérés sont détruits ou recyclés dans l’arsenal national sous contrôle de la Minusca.
Le second étage du programme mise sur la réintégration socio-économique. Des formations courtes en maçonnerie, mécanographie ou élevage sont proposées, assorties d’une allocation transitoire équivalente à 60 000 francs CFA par mois. L’objectif est de réduire l’attraction des réseaux criminels qui prospéraient sur le désœuvrement.
Selon le Comité stratégique, 68 % des bénéficiaires déclarent aujourd’hui un revenu régulier. Ce chiffre encourageant reste à consolider, car le suivi indépendant note des retours ponctuels aux armes dans certaines préfectures minières. Des cellules d’alerte rapide combinent médiateurs locaux et drones de surveillance pour prévenir.
La dissolution annoncée de l’UPC et des 3R, attendue d’ici la fin de l’année, représente un test. Leurs combattants opéraient sur les couloirs commerciaux stratégiques vers le Cameroun et le Tchad. Leur reddition complète libérerait les flux routiers, abaissant les coûts logistiques déjà amplifiés par l’inflation.
Les partenaires extérieurs, entre appui et vigilance
La Minusca maintient 14 400 Casques bleus, effectif jugé suffisant par New York tant que le processus électoral reste apaisé. De son côté, Moscou signale la poursuite de la formation des Forces armées centrafricaines sur le site de Berengo, dans le respect de l’embargo partiel sur les armes.
L’Union africaine, hôte de l’Accord de N’Djamena, suit les progrès avec un observatoire conjoint. « Le défi est de transformer des avancées sécuritaires en dividendes pour la population », note Rémy Ngatak, expert d’Addis-Abeba, qui plaide pour une coordination accrue entre bailleurs, diaspora et secteur privé.
Le point juridique-éco
Le cadre légal du DDRR repose sur la loi 18-013, adaptée en 2022 pour faciliter la restitution volontaire des armes sans poursuite systématique. En parallèle, le ministère des Finances consacre 3 % du budget national au fonds de stabilisation, montant salué par la Banque africaine de développement.
Sur le plan économique, l’effet attendu est une hausse durable de la production agricole. Les autorités projettent 4,2 % de croissance en 2024, contre 3,4 % cette année, à condition que les ex-rebelles rejoignent les coopératives semencières mises en place autour de Bambari, Bossangoa et Bria.
Calendrier électoral sous haute attente
Les élections générales prévues le 20 décembre se préparent sous haute vigilance. Dix candidatures ont été validées par l’Autorité nationale des élections, dont celle du président sortant et celle d’Anicet Georges Dologuélé. Plusieurs partis de l’opposition maintiennent toutefois leur boycott, craignant des irrégularités logistiques.
Le gouvernement affirme avoir sécurisé 95 % des bureaux de vote grâce aux déploiements conjointes forces armées-Minusca. Un appel d’offres pour l’impression des bulletins est déjà clôturé afin d’éviter les retards de 2020. Les chancelleries occidentales saluent la transparence de la procédure, en attendant l’ouverture officielle de campagne.
Et après ? Scénarios de consolidation
Si le scrutin se déroule sans violence majeure, Bangui espère obtenir d’ici mi-2024 un allègement de l’embargo onusien, permettant l’achat d’équipements de génie civil utiles au désenclavement. Cette perspective constitue un puissant levier pour convaincre les derniers indécis de rendre leurs fusils artisanaux.
À moyen terme, des économistes proposent de transformer certaines brigades démobilisées en unités forestières chargées de lutter contre l’exploitation illégale. Chaque soldat recevrait ainsi un emploi pérenne et l’État renforcerait sa présence dans le bassin de la Sangha, hotspot écologique convoité par les trafiquants.
Reste la question du financement durable. Sur les 45 millions de dollars requis pour la phase finale, 28 sont déjà mobilisés. Bangui sollicite désormais la CEMAC et les fonds verts, plaidant qu’une paix consolidée en Centrafrique stabiliserait toute la région et sécuriserait les corridors commerciaux.
