Ce qu’il faut retenir
Près de quatre cinquièmes des importations centrafricaines empruntent le port de Douala et un ruban routier de 1 450 km jusqu’à Bangui. Le corridor reste cher, lent et administrativement complexe, pesant sur une balance commerciale déficitaire et sur le pouvoir d’achat des ménages.
Un enclavement géographique structurant
Sans façade maritime, la République centrafricaine dépend de ses voisins pour accéder aux marchés mondiaux. Les pistes vers le Tchad ou le Soudan demeurent marginales en volume. Le Cameroun s’impose donc comme partenaire logistique incontournable, malgré le mauvais état de certains tronçons et l’engorgement routier à la saison des pluies.
Douala, porte d’entrée obligée
Le port de Douala traite environ 300 000 TEU par an. Selon les douanes centrafricaines, 80 % des cargaisons destinées à Bangui y sont débarquées avant d’être chargées sur camions. Les surcharges portuaires, les frais de manutention et les congestions périodiques ajoutent jusqu’à 15 % au coût CAF d’un conteneur.
Un corridor routier à haut risque
Au-delà du Wouri, la route nationale 1 camerounaise puis la nationale 3 centrafricaine traversent savanes et forêts. Crevaisons, barrages improvisés et intempéries prolongent parfois le trajet à plus de quinze jours. Les assurances transport fixent des primes élevées, répercutées sur le prix final des biens importés.
Parole de terrain
« Je compare trois transitaires avant de commander. Un retard d’une semaine peut me faire perdre la saison des fêtes », observe Warren Serech, vendeur de sneakers. Pour ce jeune commerçant, la rotation lente du capital impose de réduire sa marge et d’écouler vite pour pouvoir réinvestir.
L’avion, exception coûteuse
Lorsque la marchandise est périssable ou très chère au kilogramme, certains optent pour le fret aérien via Douala ou Addis-Abeba. Le tarif, parfois triple du maritime, réserve cette option aux appareils électroniques ou aux pièces automobiles d’urgence. Junior Ouamale, entrepreneur IT, estime que le kilo informatique lui revient « deux fois plus cher qu’en Côte d’Ivoire ».
Le poids des taxes et procédures
À Bangui, les droits de douane peuvent atteindre 30 %. S’y ajoutent TVA, redevance statistique, frais d’escorte et contributions sectorielles. Une importation d’une valeur CIF de 10 000 dollars peut générer jusqu’à 4 200 dollars de prélèvements cumulés avant même la distribution.
Encadré : le point juridique/éco
La loi de finances 2023 prévoit un abattement de 5 % pour les biens destinés à la transformation locale, incitant les PME industrielles à investir. En parallèle, la Chambre de commerce négocie un guichet unique numérique pour réduire les multiples passages administratifs jugés redondants.
Résilience entrepreneuriale
Malgré ces contraintes, les importateurs centrafricains innovent. Groupage de commandes, paiements via plateformes fintech, partenariats d’entrepôts partagés à Beloko : autant de tactiques pour comprimer les frais fixes. Certains s’essaient au sourcing régional, comme le sucre camerounais ou les farines tchadiennes, pour limiter la distance.
Scénarios d’évolution du corridor
Trois options dominent les discussions d’experts. Premièrement, réhabiliter intégralement la route Douala-Bangui, estimée à 1,1 milliard de dollars, avec un financement CEMAC et Banque mondiale. Deuxièmement, rouvrir la navigation sur l’Oubangui vers Brazzaville, solution fluviale plus verte mais saisonnière. Troisièmement, miser sur le projet de chemin de fer Yaoundé-Bangui, encore à l’état d’étude.
Infrastructures et diplomatie
Le président Faustin-Archange Touadéra a fait du désenclavement un axe majeur de sa diplomatie économique. Avec son homologue camerounais, il a inauguré en avril une cellule mixte de suivi du corridor. Des patrouilles conjointes sécurisent désormais les zones sensibles, rassurant transporteurs et assureurs.
Encadré Contexte : chiffres clés
Importations totales 2022 : 500 millions USD. Déficit commercial : 12,4 % du PIB. Temps moyen porte-à-porte Asie-Bangui : 92 jours. Coût moyen d’expédition d’un conteneur de 20 pieds : 6 800 USD, contre 3 400 USD pour Abidjan. Source : douanes RCA, Banque africaine de développement.
Le rôle de la ZLECAf
L’entrée en vigueur opérationnelle de la Zone de libre-échange continentale pourrait fluidifier les procédures douanières. L’harmonisation des nomenclatures tarifaires et la dématérialisation des certificats d’origine sont attendues pour réduire les délais de transit de 10 % selon la CEA.
Et après ? Diversifier les portes d’accès
Bangui explore la piste soudanaise via Port-Soudan et le corridor néerlandais-ougandais Mombasa-Gulu-Bangui. Les études de faisabilité soulignent toutefois les défis sécuritaires et le coût d’entretien des infrastructures traversant plusieurs zones arides. La coopération régionale demeurera la clé d’une réussite logistique pérenne.
Cartographie et données
Une carte interactive réalisée par l’Institut géographique centrafricain superpose l’état des routes, les postes frontières et les zones d’insécurité. Elle démontre que 62 % des dégradations sévères se situent sur les 300 km centrafricains, zone prioritaire pour des travaux à haute intensité de main-d’œuvre, promus par l’AFD.
Le regard des bailleurs
La Banque africaine de développement a approuvé une enveloppe de 68 millions d’euros destinée à la maintenance du corridor. La mesure phare consiste en un système de pesage électronique visant à limiter la surcharge des camions, première cause d’affaissement de la chaussée.
Perspectives pour les PME
Un fonds de garantie logistique, annoncé par la Banque centrale des États de l’Afrique centrale, promet de couvrir 50 % des risques de change et de transport pour les importateurs éligibles. L’objectif est de libérer environ 40 millions d’euros de capacité de crédit en faveur des jeunes entreprises.
Mot de la rédaction
Le corridor de Douala, s’il demeure un goulot d’étranglement, est aussi un laboratoire d’innovations logistiques africaines. Entre réhabilitation routière, outils numériques et intégration commerciale, la Centrafrique transforme une contrainte historique en terrain d’expérimentation vers une croissance plus souveraine.
