Un geste diplomatique rarissime sur le Potomac
Jamais, depuis le sommet de Lusaka en 1999, la République démocratique du Congo et le Rwanda n’avaient officialisé un texte aussi ambitieux que celui signé le 27 juin à Washington. Les ministres des Affaires étrangères des deux États se sont retrouvés dans la salle Jefferson du département d’État, sous le regard attentif du secrétaire d’État américain. Cette fois, la Maison-Blanche n’a pas limité son rôle à une exhortation : elle a assumé le pilotage des pourparlers, profitant de son influence historique à Kigali et de son rapprochement récent avec Kinshasa. « Il fallait une tierce partie dotée d’un poids stratégique pour contraindre les protagonistes à s’asseoir durablement », confie un diplomate africain en poste dans la capitale fédérale, saluant la « diplomatie de la persévérance » de Washington.
Minerais stratégiques, l’autre ligne de front
La façade publique de l’accord met l’accent sur la cessation des hostilités, mais sa matrice réelle se lit entre les lignes : le contrôle des minerais critiques du Kivu. Cobalt, tantale, cuivre et lithium structurent désormais les chaînes de valeur des véhicules électriques et du stockage d’énergie, secteurs dans lesquels les États-Unis souhaitent réduire leur dépendance à la Chine. Selon le cabinet Benchmark Mineral Intelligence, 70 % du raffinage mondial de cobalt demeure aujourd’hui sous pavillon chinois. En convainquant Kigali et Kinshasa de formaliser un couloir logistique sécurisé vers l’océan Indien, l’administration américaine espère, selon un conseiller économique, « diversifier un approvisionnement vital tout en stabilisant une zone explosive ».
Le rôle assigné au M23 dans la mécanique de l’accord
Reste l’ombre portée du Mouvement du 23 mars. La rébellion, appuyée de longue date par des segments de l’appareil sécuritaire rwandais, contrôle encore la riche concession aurifère de Rubaya. L’accord ne l’ignore pas, mais lui réserve une place indirecte : Kigali s’engage à « suspendre toute assistance logistique à des acteurs non étatiques » tandis que Kinshasa promet une « offre politique » à ceux qui accepteront le désarmement. « L’idée est de couper le M23 de son oxygène extérieur pour l’amener, en six mois, à la table d’un dialogue séparé », analyse Thierry Vircoulon, chercheur associé à l’Ifri (France 24).
Pressions croisées de Washington, Pékin et des capitales régionales
L’implication directe des États-Unis redistribue un échiquier où plusieurs acteurs avançaient déjà leurs pions. Pékin, qui a sécurisé d’importants actifs miniers via le conglomérat CMOC, observe l’initiative avec prudence. Luanda, Doha et même Brazzaville, fort de ses bonnes relations bilatérales des deux côtés du fleuve, ont salué un texte « qui renforce la stabilité de la sous-région ». Dans les chancelleries africaines, on souligne que la République du Congo, fidèle à sa tradition de médiation discrète, a soutenu sans réserve l’effort américain, y voyant un levier supplémentaire pour la sécurité collective des Grands Lacs.
Quels leviers de mise en œuvre à court et moyen terme
La réussite du pacte repose sur un mécanisme de vérification adossé à la Monusco et à une task-force conjointe rwandaise-congolaise financée en partie par l’USAID. Des sanctions financières automatiques cibleraient tout soutien matériel à une milice. Parallèlement, la Banque mondiale prépare une ligne de crédit destinée à la reconstruction des infrastructures transfrontalières, conditionnée au respect du cessez-le-feu. « Les incitations économiques sont au cœur de la stratégie », rappelle un officiel américain, évoquant la « théorie du dividende de la paix ».
Entre scepticisme hérité et fenêtre d’opportunité
Les sceptiques rappellent que six accords similaires ont échoué depuis 2021. Pourtant, l’irruption de Washington, la pression conjointe des partenaires internationaux et la volonté affichée de valoriser légalement les minerais offrent une fenêtre inédite. Kigali voit dans la légalisation du transit minier un gage de respectabilité tandis que Kinshasa obtient l’arrêt des incursions étrangères. Surtout, la médiation place les deux capitales sous le regard constant de marchés financiers avides de traçabilité. L’issue dépendra de la capacité des dirigeants à transformer l’essai diplomatique en transformation structurelle, loin des caméras.