Un émissaire chevronné au cœur d’un marathon diplomatique
À peine descendu de l’avion en provenance de Kigali, Olusegun Obasanjo a été accueilli, le 25 juin, par le président Félix Tshisekedi dans le salon présidentiel de la Cité de l’Union africaine. L’ancien chef d’État nigérian, rompu aux négociations de crise depuis la guerre civile libérienne jusqu’au conflit soudanais, porte la double casquette de facilitateur de la Communauté de l’Afrique de l’Est et de la Communauté de développement de l’Afrique australe. « Nous voulons bannir toute velléité de confrontation et faire advenir un climat de confiance mutuelle », a-t-il confié au sortir de près de deux heures d’entretien, insistant sur le « bon chemin » emprunté par ses discussions successives avec Paul Kagame et Félix Tshisekedi.
La scène diplomatique n’est pas exempte de rivalités institutionnelles : outre l’EAC et la SADC, l’Union africaine a désigné le président togolais Faure Gnassingbé comme médiateur principal. Obasanjo compte lui faire rapport à Lomé afin d’éviter la redondance des initiatives. Cette méthode ascendante, du terrain vers la coordination panafricaine, constitue l’une des évolutions majeures du dispositif régional de paix depuis les ratés des feuilles de route de Nairobi en 2022.
Washington et Doha, improbable binôme à la manœuvre
L’activisme continental se superpose à un engagement inédit des puissances extérieures. Sous l’impulsion de la sous-secrétaire d’État américaine aux affaires politiques, Allison Hooker, et du ministre d’État qatari pour les affaires étrangères, Soltan Al-Muraikhi, les équipes techniques congolaise et rwandaise ont paraphé un projet d’accord baptisé « Framework de Washington ». Sa signature ministérielle, attendue le 27 juin en présence du secrétaire d’État Marco Rubio, doit entériner un calendrier de désengagement progressif du M23 et la mise en place d’un mécanisme conjoint de vérification des frontières.
Le Qatar, médiateur discret sur plusieurs dossiers africains, a veillé à ne pas court-circuiter les organisations régionales. Un diplomate occidental observe que « Doha apporte la logistique et la garantie financière nécessaires aux programmes de démobilisation, tandis que Washington sert de caution sécuritaire ». Cette division du travail répond à la fatigue d’une communauté internationale souvent critiquée pour ses déclarations sans suivi budgétaire.
La voix des Églises congolaises, variable morale incontournable
En marge des négociations diplomatiques, la Conférence épiscopale nationale du Congo et l’Église du Christ au Congo mènent depuis mars un dialogue interne sur la crise de l’Est. Reçues le 21 juin par Félix Tshisekedi, les deux institutions ont présenté un rapport prônant une amnistie conditionnelle, le cantonnement des groupes armés et la relance de l’administration locale. Si le chef de l’État s’était montré initialement réservé, il reconnaît désormais « la profondeur du travail pastoral ».
Les leaders religieux, souvent mieux implantés que l’État dans les zones rurales du Nord-Kivu, peuvent faciliter la collecte volontaire des armes légères. Leur soutien offre également un gage de légitimité interne, indispensable pour désamorcer la méfiance populaire envers tout accord perçu comme dicté de l’extérieur.
Sur le terrain, le M23 rappelle la fragilité du moment
Malgré la conjonction des médiations, la carte militaire reste déséquilibrée. Le M23 occupe encore des tronçons stratégiques de la RN2 et les collines surplombant la plaine de Rutshuru. Kinshasa accuse Kigali de maintenir des forces spéciales en appui discret, accusation que le Rwanda dément tout en invoquant le droit de poursuite contre les FDLR hostiles à son régime.
Les rapports de la MONUSCO confirment toutefois la présence d’unités rwandaises au-delà de la ligne frontalière officielle, sans préjuger de leur chaîne de commandement. Cette ambiguïté complique le cessez-le-feu : comment vérifier le retrait d’une troupe que Kigali nie avoir déployée ? La question est cruciale, car l’opinion congolaise réclame des garanties visibles pour accepter toute concession politique.
Accord annoncé : promesse d’aube ou mirage supplémentaire ?
La signature imminente ne manque pas de résonances historiques : les accords de Lusaka (1999) puis de Pretoria (2002) avaient déjà promis la « fin définitive » des ingérences étrangères à l’est du Congo. Les diplomates africains brandissent désormais un dispositif de suivi renforcé, associant l’EAC, la SADC et l’Union africaine dans un comité de mise en œuvre amené à se réunir chaque trimestre à Goma.
Plusieurs analystes soulignent néanmoins que la crédibilité du futur accord dépendra de la capacité des financeurs à honorer les engagements sociaux annexes : réhabilitation des routes, indemnisation des déplacés, réforme de la chaîne de commandement des FARDC. Sans ces volets, préviennent-ils, la dynamique de violence risquerait de s’auto-alimenter, à la faveur de groupes qui prospèrent sur le terreau du désespoir économico-humanitaire.
Obasanjo, symbole d’un réalisme africain en quête d’autonomie
En convoquant l’autorité morale d’Olusegun Obasanjo, les blocs régionaux rappellent leur ambition d’affirmer une diplomatie africaine moins tributaire des injonctions extérieures. L’ancien président, qui s’était déjà investi dans la réconciliation ivoirienne en 2005 et éthiopienne en 2022, incarne cette expertise du compromis graduel, à l’opposé des « paix instantanées » souvent prônées par les chancelleries occidentales.
Reste à savoir si sa méthode survivra à l’épreuve du temps long : l’est du Congo a absorbé, puis dilué, de nombreux dispositifs de sortie de crise. L’actuel pas de deux diplomatique ne fera exception que si la gouvernance économique locale se redresse et si la confiance se reconstitue entre voisins, condition sine qua non d’une intégration régionale enfin émancipée des fâcheries sécuritaires.