Un lancement à forte portée symbolique
L’Esplanade d’un hôtel de Dakar a servi, le 1er octobre, de cadre solennel au coup d’envoi des examens de la première Certification Professionnelle en Réassurance d’Afrique francophone. Un événement porté par l’Institut Interafricain de Formation en Assurance et en Gestion des Entreprises, l’IFAGE.
Pour de nombreux acteurs du marché, la scène dépasse le simple symbole académique : elle concrétise une ambition panafricaine de monter, enfin, en compétence sur un métier longtemps resté l’apanage des places européennes. Le Sénégal s’offre ainsi comme carrefour d’une ingénierie aujourd’hui hautement stratégique.
Derrière l’effet d’annonce, l’objectif est clair : donner aux assureurs d’Afrique centrale et de l’Ouest les outils techniques permettant de retenir davantage de primes sur le continent, tout en gérant des risques de plus en plus complexes, climatiques, sanitaires ou liés aux grands projets d’infrastructures.
Une pédagogie pensée pour les praticiens
Le programme CPR se déroule entièrement en ligne durant six mois, selon un rythme compatible avec des agendas déjà chargés. Deux jours de révision puis deux jours d’examen en présentiel complètent le dispositif, afin d’évaluer les acquis de façon rigoureuse et certifiante.
L’IFAGE mise sur la classe inversée : les apprenants travaillent supports théoriques et exercices de cas avant de rejoindre, en visioconférence, les formateurs pour confronter leurs analyses à des situations réelles. Cette approche favorise la participation active et la consolidation durable des connaissances.
Mandaw Kandji, président du conseil d’administration, résume l’esprit : « Flexibilité et excellence doivent aller de pair. » Il estime que la réassurance devient la ceinture de sécurité d’économies encore vulnérables aux chocs, et que seules des compétences pointues garantiront la résilience espérée.
Des expertises africaines et mondiales au programme
Le corps professoral réunit des actuaires de cabinets internationaux, des spécialistes de la réglementation CIMA, des directeurs régionaux de grands réassureurs et des vétérans comptant plus de quarante ans de pratique. Ce mix assure un équilibre entre vision stratégique et décryptage des chiffres.
Les modules couvrent l’introduction à la réassurance, la comptabilité technique, la tarification, l’audit de programme et les statistiques CIMA. Les participants apprennent à structurer un traité proportionnel, à négocier des facultatives ou encore à détecter des fuites de valeur dans les comptes courants.
Cette exhaustivité pédagogique attire des professionnels venus de quatorze pays : du Ghana au Rwanda, en passant par le Congo-Brazzaville, la RDC ou le Cameroun. Au-delà des frontières, la certification veut bâtir un langage commun, clé d’une coopération accrue entre assureurs africains.
Marché CIMA : un besoin criant de compétences
Dans la zone CIMA, la prime d’assurance vie et non-vie ne représente encore qu’environ 1,5 % du PIB, selon les derniers rapports du régulateur. Les marges de croissance sont donc importantes, mais elles s’accompagnent d’obligations prudentielles de plus en plus strictes.
Pour répondre aux exigences de solvabilité, les compagnies doivent optimiser leurs couvertures et renforcer leurs ratios. Or, faute de profils spécialisés, beaucoup externalisent l’ingénierie de réassurance. La CPR ambitionne de réduire cette dépendance, tout en maintenant un dialogue constructif avec les grands réassureurs internationaux.
Rokhaya Kandji, directrice générale d’IFAGE, rappelle que le programme est « conçu par des professionnels pour des professionnels ». La certification s’aligne sur les standards de la London Market Association tout en intégrant les spécificités réglementaires et culturelles des 14 pays représentés.
Témoignages : l’impact immédiat sur le terrain
Laprincesse Ntchana, souscriptrice basée à Douala, affirme avoir pu, dès la quatrième semaine, reconfigurer le bouquet de garanties d’un client industriel. Elle évoque une économie de 12 % sur la prime globale grâce à une meilleure articulation entre facultatives et programme proportionnel.
À Brazzaville, un directeur de réassurance souligne l’apport de la comptabilité technique : « Nous comprenons désormais comment le compte courant influence la trésorerie. Cette maîtrise accroît notre pouvoir de négociation avec les maisons-mères et rassure les régulateurs », confie-t-il.
Ces retours mettent en évidence la rapidité du transfert de savoir. Contrairement à d’autres certifications plus académiques, la CPR privilégie l’action : chaque module se termine par la résolution d’un cas concret transmis ensuite au management des compagnies, créant un effet d’entraînement interne.
Et après ? Vers un écosystème plus résilient
Selon les organisateurs, la prochaine cohorte démarrera en mars, avec l’ambition de doubler le nombre de candidats. Des discussions sont également ouvertes pour initier un certificat d’expertise sinistres majeurs, afin de couvrir l’ensemble de la chaîne d’évaluation du risque.
Les assureurs locaux saluent déjà une dynamique de mutualisation. Plusieurs d’entre eux projettent de monter un pool technique afin de retenir des lignes plus importantes sur les risques pétroliers ou miniers, grands utilisateurs de capitaux. La CPR fournit, selon eux, un socle commun indispensable.
À long terme, la consolidation des compétences en réassurance peut contribuer à maintenir davantage de capital dans les économies africaines, renforcer la confiance des investisseurs et soutenir les ambitions de transformation structurelle. L’initiative de l’IFAGE apparaît ainsi comme un levier discret mais essentiel.