Le français, enjeu stratégique régional
Dans un amphithéâtre ensoleillé de l’INRAP, une cinquantaine d’enseignants de français ont voté la relance de l’Association congolaise des enseignants de français, hibernante depuis plusieurs années. Derrière ce moment convivial se dessine un enjeu plus vaste : consolider l’influence linguistique du Congo dans l’espace francophone.
Ce retour en scène intervient alors que Brazzaville s’affirme comme pôle d’équilibre diplomatique au cœur du Golfe de Guinée. Maîtriser la langue partagée par 320 millions de locuteurs représente, pour les autorités, un levier d’intégration économique et de rayonnement culturel jugé stratégique.
ACEF, un acteur relancé
Le président de l’ACEF, le professeur Omer Massoumou, résume l’ambition : « Réunir ceux qui enseignent le français et ceux qui enseignent en français, afin de partager outils, recherches et innovations ». Cette approche inclusive fait écho aux réformes gouvernementales privilégiant la formation professionnelle tout au long de la vie.
Dans la salle, le débat s’est vite focalisé sur la nuance capitale entre enseigner le français, démarche technico-pédagogique exigeante, et enseigner une discipline en français, souvent perçue comme automatique. Reconnaître cette différence, affirment les intervenants, conditionne la progression des indicateurs de qualité nationale.
Un diagnostic partagé sur le terrain
Pour le professeur Alain Fernand Loussakoumou, responsable du master français à l’École normale supérieure, « former un professeur de français, c’est forger un artisan de la pensée critique ». Il plaide pour une mise à jour curriculaire alignée sur le Cadre européen commun de référence et les standards africains.
Josianne Balenda, de l’Université Marien Ngouabi, pointe le manque de ressources pédagogiques numériques, jugées indispensables pour séduire des apprenants ultra-connectés. Selon elle, « le manuel ne suffit plus » ; des plateformes interactives devraient compléter l’excellente initiative nationale des classes virtuelles lancée durant la pandémie.
Les discussions ont aussi relevé la dispersion des données statistiques. Aucun recensement actualisé n’établit le nombre exact de professeurs de français en exercice. L’ACEF entend combler cette lacune par un mapping national, étape jugée cruciale pour cibler formations et dotations.
Renforcer la formation initiale et continue
Inspirée des recommandations de l’Organisation internationale de la Francophonie, l’association propose un tronc commun de modules : didactique différenciée, évaluation par compétences, exploitation des corpus congolais contemporains. Un double tutorat, universitaire et terrain, garantirait l’adéquation entre recherche et réalité des classes.
Le ministère de l’Enseignement primaire, secondaire et de l’Alphabétisation, partenaire naturel, pourrait intégrer ces modules dans les centres de formation des maîtres. « Nous partageons le constat d’urgence », indique un conseiller technique, rappelant que le Plan national de développement 2022-2026 insiste sur la qualité linguistique.
Sur le plan financier, le bureau évoque un montage mixte : cotisations revues, mécénat d’entreprises et appels à projets multilatéraux. Cette diversification répond à la prudence budgétaire de l’État, tout en offrant aux partenaires privés une vitrine RSE axée sur l’éducation inclusive.
Synergies avec la diplomatie culturelle congolaise
La relance de l’ACEF s’inscrit dans la stratégie d’influence douce portée par le ministère des Affaires étrangères. Brazzaville mise sur la diplomatie culturelle pour renforcer ses alliances, notamment avec les pays du bassin du Congo et les membres de la Francophonie économique émergente.
Des centres de lecture et d’animation culturelle, soutenus par l’Alliance française et l’Institut français du Congo, pourraient servir de laboratoires pilotes où les enseignants testent méthodes et ressources. Ces espaces favoriseront aussi l’entrepreneuriat éditorial congolais, gisement encore sous-exploité dans les chaînes de valeur du livre.
En marge du prochain Sommet de la Francophonie, prévu à Yaoundé, une délégation ACEF présentera les premiers résultats du mapping national. L’occasion de capter des financements et de positionner le Congo comme hub de formation régionale en didactique du français langue seconde.
Perspectives et feuille de route
La feuille de route validée en assemblée générale retient trois priorités : stabiliser la gouvernance associative, déployer la base de données professionnelle et lancer un congrès scientifique en 2026. Chaque priorité est adossée à des indicateurs mesurables que le bureau publiera semestriellement.
Des partenariats sont déjà esquissés avec l’Université Denis-Sassou-Nguesso de Kintélé, spécialisée dans le numérique. Des étudiants en data science y développeront la plateforme de recensement. Les administrateurs y voient le symbole d’un dialogue intergénérationnel renforçant le pilier éducatif du Plan national de développement.
À moyen terme, l’ACEF ambitionne de mutualiser son expertise avec les ministères de la Culture et du Tourisme afin de proposer des circuits littéraires dans les différentes régions. Ces itinéraires mettront en valeur le patrimoine congolais et soutiendront l’économie locale par l’écotourisme culturel.
D’ici là, un bulletin trimestriel numérique diffusera analyses linguistiques, retours d’expérience et appels à contributions. Massoumou espère qu’il deviendra « la revue de référence des praticiens du français en Afrique centrale », renforçant la visibilité internationale des chercheurs congolais et attirant des partenariats.
En ravivant cette association professionnelle, les enseignants congolais de français participent à un mouvement plus large de consolidation de la francophonie subsaharienne. Leur engagement, soutenu par les institutions, rappelle qu’une diplomatie qui parle haut commence toujours par une langue enseignée clairement.