Diplomatie nutritive entre Brazzaville et Tokyo
Le 28 juillet, au siège brazzavillois du Programme alimentaire mondial, un protocole d’apparence modeste a réaffirmé l’envergure stratégique du partenariat tissé depuis trois décennies entre le Japon et la République du Congo. En paraphant un don de 1,140 milliard de francs CFA comprenant près d’un millier de tonnes de riz et plus de soixante-dix tonnes de poissons en conserve, le chargé d’affaires japonais Maekawa Hidenobu et le représentant du PAM Gon Myers ont fait bien davantage que répondre à un impératif humanitaire : ils ont inscrit l’action nutritionnelle dans le registre d’une diplomatie du développement où l’aliment devient vecteur de stabilité sociale et, par ricochet, de sécurité régionale.
Un partenariat aux racines humanitaires
Le financement japonais s’ajoute aux 14,3 millions de dollars déjà mobilisés depuis 2019 pour soutenir les opérations du PAM au Congo. Aux yeux de Tokyo, cette continuité donne corps à l’idée que « nul élève ne devrait choisir entre apprendre et manger », selon la formule de Maekawa Hidenobu. Derrière l’aphorisme se profile une convergence de principes : le gouvernement congolais, sous l’impulsion du président Denis Sassou Nguesso, a élevé la nutrition scolaire au rang de priorité, y voyant le chaînon manquant entre accès universel à l’éducation et capital humain apte à porter la diversification économique inscrite dans le Plan national de développement 2022-2026.
Effet multiplicateur sur la fréquentation scolaire
Les expériences conduites depuis 2016 dans les départements de la Sangha et de la Likouala ont montré qu’un repas chaud quotidien augmente de plus de 20 % la fréquentation des classes, tout en réduisant la disparité filles-garçons. Les quelque 18 000 enfants ciblés cette année dans huit départements devraient donc bénéficier d’un double dividende : l’amélioration de leurs performances cognitives et un ancrage accru dans le système éducatif. Pour Jean Luc Mouthou, ministre de l’Enseignement préscolaire, primaire, secondaire et de l’Alphabétisation, « chaque plat servi allège le fardeau économique des familles vulnérables et consolide le socle de notre cohésion nationale ».
Renforcer la résilience des communautés d’accueil
Le dispositif ne se limite pas aux salles de classe. Près de 16 000 réfugiés et demandeurs d’asile centrafricains établis dans la Likouala, la Cuvette et le Pool recevront la même assistance alimentaire. Le gouvernement congolais y voit un atout diplomatique : l’hospitalité est un levier de stabilité dans une région où les crises transfrontalières demeurent vives. En soulageant les budgets domestiques, l’aide concourt à apaiser les tensions entre populations hôtes et déplacés, tout en offrant à ces derniers un cadre propice à la scolarisation des enfants, gage de reconstruction post-conflit.
Alignement stratégique sur les Objectifs de développement durable
La contribution nippone s’inscrit dans la poursuite de l’ODD 2, « Faim zéro ». Brazzaville, qui a ratifié l’Agenda 2030, valorise cet alignement pour illustrer son approche holistique : lutte contre la malnutrition, renforcement des filets sociaux et promotion d’une agriculture locale capable, à terme, de prendre le relais des importations de denrées. Les ministres congolais des Affaires sociales et de l’Agriculture planchent déjà sur des mécanismes d’intégration des producteurs vivriers aux circuits des cantines, afin que l’achat public devienne moteur de développement rural.
La gouvernance congolaise en première ligne
Le succès de l’opération reposera sur la gouvernance locale. Les autorités scolaires ont reçu mandat d’assurer un ciblage rigoureux et une traçabilité sans faille des stocks. Cette vigilance répond à une double exigence : rassurer le partenaire japonais sur l’utilisation optimale de ses ressources et crédibiliser la politique congolaise d’efficacité de la dépense publique. Dans cette optique, Brazzaville mise sur la digitalisation des registres de distribution, soutenue techniquement par le PAM, pour minimiser les risques de détournement et améliorer la reddition de comptes.
Perspectives régionales et internationales
Au-delà de ses frontières, la République du Congo se positionne en acteur pivot de la sécurité alimentaire en Afrique centrale. L’initiative conjointe avec le Japon pourrait servir de modèle aux pays voisins, tandis que le Sommet Afrique-Japon TICAD 9, prévu l’an prochain, devrait consacrer une partie de ses discussions au renforcement des chaînes de valeur nutritionnelles. Dans un contexte marqué par la volatilité des cours mondiaux des céréales, la démarche congo-japonaise illustre qu’une alliance équilibrée, fondée sur la confiance et la réciprocité, peut concrètement contribuer à la paix, à la santé et à l’instruction.