Au cœur d’un désert énergétique, une ambition panafricaine
Sous la cagnée solaire qui enveloppe Ouagadougou, les ministres de l’Énergie du Burkina Faso, du Mali, du Niger, du Tchad, de la Mauritanie et de Djibouti ont tenu, le 30 juin 2025, leur cinquième conclave ministériel consacré à l’Initiative Desert to Power. Cette plateforme, portée par la Banque africaine de développement depuis 2019, affiche un objectif devenu symbole : ériger 10 gigawatts de capacités photovoltaïques et faire du Sahel la matrice de la révolution énergétique du continent. Dans une sous-région où moins d’un habitant sur deux accède à l’électricité, l’enjeu dépasse la seule équation technologique pour toucher les fondamentaux du développement humain, de la stabilité politique et de la compétitivité économique.
Les États du Sahel unis autour de réalisations tangibles
Le ministre burkinabè Yacouba Zabré Gouba, hôte de la rencontre, a rappelé que « fédérer nos efforts est la condition d’un impact démultiplié ». Il a égrené des réalisations qui, bien qu’encore modestes à l’échelle du défi, matérialisent la trajectoire : 42 MWc déjà injectés dans le réseau national de Ouagadougou, 1 MWc à Gaoua, la future centrale de 6 MWc à Dori, 18 MW à Dédougou et le projet Pedecel destiné à électrifier plus de 218 000 ménages ruraux. Au-delà des chiffres, ces installations servent de démonstrateurs pour le reste du Sahel, esquissant une trajectoire d’intégration des réseaux et de diminution des coûts unitaires de production.
La Banque africaine de développement, chef d’orchestre financier
Conduite par son vice-président en charge de l’énergie, Kevin Kariuki, la délégation de la BAD a réaffirmé une mobilisation budgétaire et technique « à la hauteur du potentiel solaire inégalé dont Dieu a doté la région ». L’institution a déjà structuré plus de quinze projets dans les cinq pays de la première phase et finance le programme burkinabè Yeleen On Grid, qui alimente aujourd’hui le réseau national. Dans son allocution, Kevin Kariuki a insisté sur la stabilité macro-économique comme prérequis pour attirer les capitaux privés, évoquant la nécessité d’« un mélange ingénieux de financements concessionnels, de garanties partielles et d’une réglementation lisible ».
Un cadre incitatif pour le secteur privé et les mini-réseaux verts
Pour lever le plafond de verre du financement, la BAD a présenté deux nouveaux outils. Le premier est un protocole commun destiné à sécuriser et harmoniser les partenariats avec les producteurs indépendants d’électricité, offrant visibilité tarifaire et répartition claire des risques. Le second, baptisé Green Mini Grid Strategy, propose un bouquet de facilités fiscales, de micro-garanties et d’assistance technique pour accélérer la diffusion de réseaux solaires décentralisés dans les localités isolées. Soumis à la validation ministérielle, ces dispositifs pourraient servir de boussole à une filière qui, selon les experts présents, pourrait drainer jusqu’à trois milliards de dollars d’investissements privés d’ici 2030.
Des retombées socio-économiques attendues dans un contexte de fragilité
Au-delà des indicateurs de capacité installée, les ministres ont consacré une large part des discussions à la dimension sociétale. Électrifier plus de 11 millions de personnes supplémentaires, consolider les chaînes de valeur agricoles par le froid solaire et stabiliser les services publics de santé figurent parmi les priorités. Les crises sécuritaires qui persistent dans certaines zones du Sahel renforcent le besoin d’une fourniture énergétique fiable afin d’alimenter bases humanitaires, hôpitaux et infrastructures scolaires. « Transformer nos défis en opportunités », a résumé Kevin Kariuki, en soulignant que l’énergie reste un facteur décisif de gouvernance et de résilience.
Cap sur 2030 : un plan d’action commun pour accélérer
La journée de travaux s’est achevée sur l’adoption d’un plan d’action resserré autour de trois piliers : modernisation de la gestion technique et financière des utilities nationales, déploiement coordonné de corridors solaires interconnectés et amplification des partenariats public-privé. Chaque État présent désignera, d’ici la fin de l’année, une cellule de suivi dotée de pouvoirs de décision afin d’éviter les goulets bureaucratiques. Les participants ont également acté la tenue d’un forum annuel des investisseurs, premier jalon d’un agenda qui, selon le ministre burkinabè, devra « maintenir la flamme collective jusqu’à la concrétisation des 10 GW ».
Une fenêtre stratégique pour la diplomatie climatique africaine
Si le Sahel parvient à réaliser, voire à dépasser, la barre symbolique des 10 GW d’ici 2030, il pourra peser dans les arènes de négociation climatique en présentant un projet continental emblématique de la transition juste. Le dossier Desert to Power, déjà salué dans plusieurs communiqués du G20 et de la Banque mondiale, offre aux capitales sahéliennes la possibilité de parler d’une voix plus affirmée sur les marchés carbone et lors des conférences onusiennes sur le climat. À l’heure où nombre de partenaires réévaluent leurs chaînes d’approvisionnement énergétique, le Sahel ambitionne ainsi de convertir son abondance de lumière en levier de diplomatie économique.