Ce qu’il faut retenir
La récente sortie médiatique du patron de la DGSE, Nicolas Lerner, éclaire les coulisses d’une coopération antiterroriste franco-marocaine érigée en modèle. Dans un entretien accordé à Le Figaro, il salue des services marocains « très efficaces, précieux et essentiels », capables d’anticiper des menaces mutantes.
Pour les capitales du Golfe de Guinée, dont Brazzaville, cette reconnaissance confirme que la réponse continentale au jihadisme se construit autant dans les bureaux d’analyse que sur les lignes de crête sahéliennes, où l’onde de choc pourrait se propager vers les bassins pétroliers et forestiers.
Coopération franco-marocaine citée en exemple
Lerner rappelle que, entre 2013 et 2018, les cellules terroristes étaient « structurées, hiérarchisées, centralisées ». Aujourd’hui, dit-il, les groupes sont éclatés, animés par des chefs de projet isolés donc plus difficiles à détecter. Dans ce contexte, partager du renseignement devient vital.
Rabat fournit depuis plusieurs années des alertes précoces à Paris, facilitant l’interception de commandos ou d’aspirants au départ. Cette mécanique prouve que l’Afrique du Nord n’est pas uniquement un couloir de transit mais aussi un pivot de détection, note un diplomate africain basé à Bruxelles.
L’un des axes porteurs, selon la DGSE, réside dans le croisement d’écoutes électroniques, d’images satellitaires et de renseignements humains issus des communautés locales. Le Maroc investirait déjà dans l’intelligence artificielle pour accélérer ce tri, un champ où Brazzaville explore des partenariats.
Sahel sous tension après le retrait français
Le chef du renseignement français observe que le départ progressif des forces hexagonales a rouvert des espaces de mobilité pour Al-Qaïda au Maghreb islamique et l’État islamique au Grand Sahara. Les convois jihadistes circulent de nouveau entre région des trois frontières et arc nigéro-tchadien.
Lerner avertit que l’enjeu n’est plus seulement sahélien : des poches de radicalité se densifient autour du lac Tchad, du Nigeria septentrional, des Grands Lacs et de la Corne de l’Afrique. La porosité des frontières renforce les risques de déplacement de combattants vers le sud.
Un officier congolais en poste à Ndjamena confirme que des convois clandestins de motocyclettes transitent par le Tibesti avant de redescendre vers le nord-Congo, région de la Likouala, notamment pour l’approvisionnement en vivres. Les forces locales n’ont intercepté que de petites unités pour l’heure.
Combattants africains au cœur des chaînes de commandement
D’après la DGSE, les Africains occupent désormais les échelons intermédiaires puis supérieurs au sein des résidus de leadership d’Al-Qaïda et de Daech, longtemps tenus par des cadres moyen-orientaux. Cette africanisation complexifie la lecture des réseaux d’allégeance, moins lisibles depuis Paris ou Washington.
Le phénomène s’explique par la capacité des katibas à recruter au sein des communautés pastorales touchées par le changement climatique, mais aussi par une offre de soldes régulières dans des zones dépourvues d’emploi. Des experts redoutent une fusion entre motifs identitaires, économiques et jihadistes.
Scénarios d’extension vers le Golfe de Guinée
Les analystes du ministère congolais de la Défense élaborent trois trajectoires. Première, la stabilisation sahélienne via des accords locaux limitant la projection vers le sud. Deuxième, le contournement des postes frontaliers par petits groupes, visant des couloirs forestiers. Troisième, une percée coordonnée simultanée sur plusieurs États côtiers.
Le premier scénario suppose une relance du multilatéralisme sécuritaire, peut-être sous l’égide de la CEEAC, structure où le Congo joue déjà un rôle moteur. Les diplomates brazzavillois misent sur un dialogue renouvelé avec Bamako et Ouagadougou, appuyé par Alger et Rabat.
Dans l’hypothèse d’un débordement progressif, Brazzaville envisage de renforcer la surveillance du corridor Ouesso-Pointe-Noire par drones tactiques, financés via un mécanisme conjoint avec la Banque africaine de développement. Un projet-pilote de centre de fusion du renseignement, déjà dessiné, attend la validation budgétaire.
Et après pour l’Afrique centrale ?
Les services congolais envisagent des exercices de simulation de crises impliquant Gabon, Cameroun et Angola, afin de tester l’interopérabilité des radios et la traçabilité des flux financiers suspects. Un premier wargame devrait se tenir à Kintélé, en marge des Jeux de la Francophonie.
Un cadre du Conseil national de sécurité soutient que « l’appareil d’État se modernise, mais le nerf reste la coopération régionale ». Il rappelle que le président Denis Sassou Nguesso insiste sur le rôle préventif des renseignements partagés et sur l’importance de partenariats équilibrés.
Sur le front idéologique, Brazzaville entend miser sur l’éducation civique et la déradicalisation numérique. Un projet de plateforme d’alerte communautaire, développé avec une start-up congolaise, doit associer messages en langue locale et modération d’influenceurs pour contrer la propagande jihadiste sur les réseaux.
Le chef de la DGSE, tout en louant l’exemplarité marocaine, soutient que chaque État doit adapter ses réponses à ses propres réalités sociopolitiques. Le Congo, fort de son expérience dans la médiation régionale, cherche ainsi à lier sécurité, développement rural et climat pour consolider la résilience.
Chiffres clés de la menace
Selon une estimation du Centre africain d’études stratégiques, plus de deux mille incidents violents ont été recensés au Sahel en douze mois. Cette statistique rappelle l’urgence d’une coordination élargie à l’Afrique centrale avant que les chiffres n’enflent.
