Saint-Louis, un laboratoire de la diplomatie des infrastructures
En choisissant d’investir dans la restauration de trois sites emblématiques de l’île de Saint-Louis, les autorités sénégalaises repositionnent un joyau inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO au centre d’une stratégie d’influence régionale. La signature en mars 2024 du contrat confié à l’entreprise française NGE, déjà impliquée dans le Train Express Régional de Dakar, s’inscrit dans le sillage d’une longue tradition de coopération entre Paris et Dakar. Ce partenariat dépasse la seule logique de maîtrise d’œuvre : il signale la volonté du Sénégal de conjuguer impératifs de conservation patrimoniale et développement économique dans un contexte d’urbanisation accélérée.
Pour la France, ce projet conforte sa diplomatie économique dans un espace ouest-africain où la concurrence de nouveaux acteurs – Turquie, Chine, Golfe – s’intensifie. « La valorisation du patrimoine historique est inséparable de la compétitivité touristique de la région », souligne un diplomate européen basé à Dakar, rappelant que la ville fut la première capitale de l’Afrique-Occidentale française.
Un partenariat public-privé aux résonances régionales
L’Agence nationale pour la Promotion des Investissements et des Grands Travaux (APIX) pilote la requalification de la place Baya Ndar, de l’avenue Jean-Mermoz et la création d’un village artisanal. Au-delà de l’édification d’espaces publics, c’est un test grandeur nature pour le modèle de partenariat public-privé sénégalais, appelé à irriguer d’autres projets dans la vallée du fleuve Sénégal.
NGE, quatrième groupe français du BTP, revendique un chiffre d’affaires de 4,6 milliards d’euros et une présence dans onze pays africains. « Ce projet incarne notre engagement envers le développement et l’aménagement des territoires », déclare son directeur pays, Florian Rapetti. Derrière cette rhétorique partenariale, l’entreprise consolide un portefeuille continental qui va du barrage de Nachtigal au Cameroun à la ligne grande vitesse égyptienne. La normalisation de ses pratiques, notamment en matière d’inclusion des PME locales et de transfert de compétences, sera observée de près par la Banque africaine de développement, déjà impliquée dans le financement d’infrastructures régionales.
La question du patrimoine mondial comme levier d’influence
Classée à l’UNESCO depuis 2000, l’île de Saint-Louis cumule défis de salinisation, montée de l’océan et dégradation du bâti colonial. Le Sénégal s’efforce d’éviter le scénario qui a valu à Zanzibar d’être inscrit sur la liste du patrimoine en péril. « La réhabilitation doit préserver l’authenticité architecturale tout en adaptant les infrastructures aux exigences climatiques », avertit un urbaniste de l’université Gaston-Berger. La mission d’expertise conjointe UNESCO-ICOMOS, prévue pour l’automne prochain, évaluera la conformité des chantiers aux lignes directrices internationales.
Au-delà de la conservation, l’étiquette UNESCO demeure un instrument de légitimité diplomatique. Elle renforce la visibilité d’un site dans les forums multilatéraux et facilite l’accès à des guichets de financement dédiés au patrimoine. Pour la France, soutenir un tel projet revient à réaffirmer son rôle d’« allié historique » dans la sauvegarde culturelle, alors même que la restitution d’œuvres d’art africain anime le débat politique bilatéral.
Tourisme durable et cohésion sociale, enjeux sensibles
Le programme APIX entend capter le flux grandissant de touristes culturels attirés par la mémoire bourgeoise de la cité fluviale et par les écosystèmes du parc national de la Langue de Barbarie. L’enjeu est de porter la fréquentation annuelle de la région au-delà des 250 000 visiteurs d’ici 2030, tout en stabilisant un tissu social fragilisé par la pêche illicite et par l’exode des jeunes vers Dakar.
La construction d’un village artisanal doit favoriser l’intégration des artisans locaux dans la chaîne de valeur touristique. Toutefois, des associations de quartier redoutent une gentrification accélérée et une hausse des loyers. Face à ces tensions, le gouverneur de Saint-Louis promet d’instaurer un mécanisme de consultation citoyenne trimestriel. Les bailleurs européens, de leur côté, conditionnent une partie de leur soutien à la production d’indicateurs sociaux sur l’emploi des femmes et des jeunes.
Perspectives : vers un modèle exportable de coopération
Si le chantier respecte son calendrier – livraison attendue fin 2026 – et ses objectifs de durabilité, il pourrait servir de modèle pour d’autres villes patrimoniales d’Afrique de l’Ouest, de Grand-Bassam à Bobo-Dioulasso. Le ministère sénégalais de l’Urbanisme envisage déjà une plateforme régionale dédiée aux bonnes pratiques de sauvegarde urbaine, en partenariat avec l’Organisation internationale de la Francophonie.
Dans un contexte où la diplomatie du béton rivalise de promesses, l’opération Saint-Louis rappelle qu’un projet d’infrastructure ne se juge pas seulement à la prouesse technique ou à la signature d’un chèque. Il se mesure à la capacité de tisser un compromis durable entre mémoire historique, vitalité économique et souveraineté locale. C’est à cette aune que Dakar, Paris et leurs partenaires seront in fine évalués.