Pression budgétaire et nouvelles réalités macroéconomiques
La publication du Document de programmation économique et budgétaire à moyen terme 2026-2028, actuellement sur les bancs de l’Assemblée nationale, jette une lumière crue sur l’évolution de la dépense publique camerounaise. Pour l’exercice 2024, la masse salariale de l’État culmine à 1 522,8 milliards de francs CFA, soit l’équivalent de 2,7 milliards de dollars. En glissement annuel, la progression atteint 12,2 %. Cet élan est d’autant plus remarquable qu’il propulse la part des salaires à 38,6 % des recettes fiscales, franchissant allègrement le plafond de 35 % admis dans l’espace CEMAC. Les observateurs de la Banque mondiale notent que ce niveau rapproche le Cameroun des économies d’Amérique latine à forte dépense sociale, tout en le positionnant au-delà de la médiane subsaharienne.
Les moteurs de la hausse : éducateurs, rappels et forces de défense
Sous les chiffres se déploient des réalités politiques et sociales complexes. Le gouvernement a d’abord soldé une part substantielle des arriérés dus aux enseignants, un geste qui répond aux mouvements de grogne récurrents dans les lycées publics. Sur une dette salariale initiale de 293,9 milliards FCFA, 174,5 milliards ont été débloqués dès le premier semestre. À cela s’ajoute la revalorisation linéaire de 5 % décidée en février 2024, revalorisation qui concerne l’ensemble des agents civils et militaires. Enfin, l’intégration budgétaire de nouvelles recrues dans les forces de défense, dans un contexte de sécurisation accrue des frontières septentrionales, accentue la ligne de dépense. Selon le ministère des Finances, chaque millier de militaires supplémentaires représente environ 4 milliards FCFA sur douze mois.
Enjeux de conformité CEMAC et prudence du Trésor
Le dépassement du seuil de 35 % fixé par la CEMAC n’est pas qu’un indicateur technique ; il ouvre potentiellement la voie à des mesures correctives préconisées par la Commission de surveillance multilatérale. Yaoundé plaide cependant la spécificité de sa trajectoire, arguant que l’effort porte pour moitié sur la régularisation d’arriérés, donc d’obligations héritées du passé. Un cadre de dialogue s’est d’ailleurs instauré avec la Banque des États de l’Afrique centrale pour lisser l’impact sur la trésorerie. Les autorités entendent maintenir un déficit budgétaire global sous 3,5 % du PIB, grâce à une mobilisation fiscale accrue dans le secteur non pétrolier et à un calendrier prudent d’émissions obligataires.
Cap 2025-2026 : une trajectoire ascendante malgré les signaux d’alerte
Le cadrage à moyen terme inscrit la masse salariale à 1 566,6 milliards FCFA en 2025 puis 1 607,3 milliards FCFA en 2026. Le gouvernement parie sur une croissance nominale des recettes de 8 % par an pour contenir la part des salaires autour de 37 %. Les économistes du FMI, reçus à Yaoundé en mars, jugent l’hypothèse réaliste à condition d’amplifier la digitalisation de la collecte douanière et de réduire les exonérations discrétionnaires. Faute de quoi, le ratio masse salariale/recettes pourrait se figer à un niveau qualifié de « rigide », limitant la marge d’ajustement conjoncturel.
Dans les couloirs du Parlement, le débat porte déjà sur la soutenabilité de cette trajectoire. Quelques voix préconisent un moratoire sur les recrutements non prioritaires, d’autres insistent sur la réforme intégrale du système de pensions qui comptabilise 154 610 bénéficiaires pour un coût annuel voisin de 200 milliards FCFA.
Maîtrise des effectifs et gouvernance des ressources humaines
Avec 390 170 agents publics recensés officiellement, l’enjeu réside moins dans les recrutements ponctuels que dans la fiabilité du fichier solde. Le ministère de la Fonction publique poursuit depuis 2021 un audit biométrique visant à extirper les doublons. Les premiers résultats, encore non consolidés, laissent entrevoir quelques milliers d’anomalies. D’anciennes pratiques, telles que les « dossiers fictifs », seraient en voie d’être éliminées, mais les syndicats réclament la transparence sur la méthodologie retenue.
Le gouvernement entend, par ailleurs, associer étroitement la Cour des comptes à l’exercice de certification, une innovation institutionnelle bien accueillie par les partenaires techniques. Selon un haut fonctionnaire du Trésor, « chaque agent fantôme éradiqué équivaut à deux salles de classe construites ». L’équation budgétaire se double ainsi d’un enjeu de gouvernance, inséparable de la crédibilité de l’action publique.
Entre impératifs sociaux et réalisme politique
Dans un pays où le salaire moyen dans la fonction publique reste un ascenseur social clé, l’exécutif ne peut ignorer les attentes de ses agents sans risquer la contestation. La revalorisation de 5 % témoigne d’une volonté d’atténuer l’érosion du pouvoir d’achat en période de poussée inflationniste. Néanmoins, la conjoncture impose des arbitrages serrés : chaque franc dépensé pour la paie réduit d’autant les possibilités d’investissement dans les infrastructures ou la santé. L’équilibre final se joue donc sur la capacité du gouvernement à étendre l’assiette fiscale et à capter des financements concessionnels à long terme.
Peu d’analystes s’attendent à un recul immédiat de la courbe salariale. La priorité est plutôt de stabiliser la dynamique sans compromettre l’attractivité du service public. Comme le résume un diplomate européen en poste à Yaoundé, « le Cameroun achète aujourd’hui la paix sociale pour gagner du temps réformateur ; l’enjeu est de transformer ce temps en dividendes de croissance ». La vigilance sur l’exercice 2024 offre ainsi une fenêtre de test grandeur nature, dont dépendra la crédibilité des projections jusqu’en 2026.