Un consensus de façade à Bruxelles
Le huis clos des chefs d’État et de gouvernement aura duré moins de trois heures, le temps d’entériner à l’unanimité la reconduction du 17e train de mesures restrictives contre la Fédération de Russie. L’architecture de ce paquet, mis en place après vingt-deux mois de conflit, porte sur la limitation des exportations de biens à double usage et sur le plafonnement du prix du pétrole maritime, dispositif que la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, qualifie de « barrage financier » dressé face au Kremlin. Derrière la photographie de famille, toutefois, plusieurs diplomates évoquent un « consensus de façade » : chacun a conscience que le débat le plus sensible se joue déjà sur le 18e volet, dont le contenu technique est, selon le président du Conseil européen Antonio Costa, « abouti à 90 % ».
Un 17e paquet qui pèse mais ne rompt pas
Les services de la Commission estiment à près de 120 milliards d’euros la contraction des recettes russes liées au commerce extérieur depuis février 2022, dont plus de la moitié provient de la seule restriction sur les hydrocarbures. Pourtant, le rouble se maintient grâce à l’absorption asiatique des flux pétroliers, Moscou consentant des décotes jusqu’à 25 %. Les think tanks bruxellois expliquent cette résilience par « l’élasticité stratégique » de l’économie russe, passée à un mode de mobilisation quasi-militaire. Dans ce contexte, Kiev maintient la pression ; s’exprimant devant les Vingt-Sept par visioconférence, le président Volodymyr Zelensky a salué la prorogation mais appelé à « clore les brèches dans l’embargo technologique », évoquant la présence de micro-composants occidentaux dans des drones récupérés à Avdiïvka.
Le cavalier slovaque et l’équation gazière
La Slovaquie, dirigée depuis octobre par Robert Fico, s’est faite entendre dès l’ouverture du sommet en conditionnant son aval au 18e paquet à la sécurisation de ses approvisionnements gaziers post-2027. Bratislava dépend encore à 60 % du gaz russe acheminé via l’Ukraine, transit menacé par la fin du contrat actuel. Pour dissiper les craintes, la présidente moldave Maia Sandu, invitée spéciale, a rappelé le rôle du corridor vertical Grèce-Bulgarie-Roumanie, susceptible d’alimenter l’Europe centrale en gaz azerbaïdjanais. Les négociateurs étudient un mécanisme de garanties contractuelles, mais le chef du gouvernement slovaque conserve, selon un diplomate, « une position de chantage rationnel ».
Une symphonie de messages stratégiques
Au-delà du bras de fer intra-européen, le sommet a agréé de nouvelles désignations individuelles. Les ministres des Affaires étrangères ont inscrit sur la liste noire l’influenceuse helvéto-camerounaise Nathalie Yamb pour avoir, selon le texte officiel, « relayé systématiquement la propagande militaire russe dans l’espace francophone ». Bruxelles veut montrer que la bataille de l’information se joue également sur les réseaux sociaux, notamment en Afrique où la compétition mémorielle et sécuritaire s’intensifie. Un diplomate congolais présent comme observateur a salué « l’effort européen pour protéger la liberté d’expression tout en luttant contre les campagnes de désinformation », insistant sur l’importance de distinguer critique politique légitime et propagande belligérante.
Réalité du front et diplomatie de la sidération
Tandis que les chancelleries jaugeaient les graphiques macroéconomiques, la ligne de front demeurait sous tension. L’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques a confirmé l’usage répété de gaz CS, aérosol normalement destiné au maintien de l’ordre, dans les tranchées autour de Kherson. Kiev évoque une « violation grossière des Conventions », Moscou dément. Parallèlement, un échange de 90 prisonniers de part et d’autre a été validé grâce à la médiation d’Abou Dhabi. Si ce geste humanitaire a brièvement adouci le climat, la condamnation du photographe Grigori Skvortsov à seize ans de camp pour haute trahison rappelle la rigidité intérieure du régime russe. Selon un membre de la délégation française, « l’UE veut éviter de paraître indifférente au sort des voix critiques » sans pour autant « abandonner la recherche de canaux diplomatiques fonctionnels ».
Perspectives africaines sur l’efficience des sanctions
Sur le continent africain, où plusieurs partenaires pétroliers de pointe, dont la République du Congo, surveillent l’évolution des flux énergétiques mondiaux, l’impact des sanctions est observé avec pragmatisme. Brazzaville s’efforce de maintenir la stabilité de ses propres exportations tout en plaidant, lors de forums internationaux, pour « un multilatéralisme apaisé et respectueux des souverainetés », selon les termes de son ministre des Affaires étrangères. Cette position, jugée « équilibrée » par la délégation espagnole, illustre la volonté de nombre d’acteurs africains de ne pas se laisser enfermer dans une confrontation binaire. Au final, le sommet de Bruxelles témoigne moins d’un durcissement que d’une forme de patience stratégique : l’Union européenne prolonge la pression et ajuste ses dispositifs, consciente que les sanctions agissent sur le temps long, là où, pour reprendre le mot d’un diplomate sénégalais, « la géopolitique s’écrit aussi à la vitesse du baril ».