Ce qu’il faut retenir
La faiblesse du dernier kilomètre logistique ralentit encore l’accès aux vaccins et médicaments en Afrique, alors même que le continent dispose de talents, d’entrepôts frigorifiés et de solutions numériques capables de changer la donne.
Des plateformes spécialisées, telle la nouvelle Logistics Marketplace soutenue par le Global Fund et la Fondation Gates, centralisent désormais l’offre de transporteurs africains. En maximisant cette coordination, les pays pourront économiser des ressources, réduire les ruptures et bâtir des systèmes de santé plus résilients.
Contexte sanitaire africain
L’Afrique concentre près de 95 % des cas mondiaux de paludisme et abrite deux tiers des personnes vivant avec le VIH. À ce poids épidémiologique s’ajoutent des systèmes de santé parfois morcelés, sous-financés ou en sous-capacité, ce qui allonge les délais d’approvisionnement.
Les gouvernements et partenaires, dont l’Africa CDC, visent une production locale de vaccins couvrant 60 % des besoins continentaux d’ici 2040. Si cet horizon stratégique progresse, chaque cycle de distribution reste aujourd’hui dépendant d’acheminements complexes jusqu’aux zones rurales et périphériques.
Lors de la récente flambée de Mpox, plus de 2 000 nouveaux cas ont été signalés entre septembre et octobre au Congo, au Liberia, au Kenya et au Ghana. Les doses disponibles exigeaient une chaîne du froid à –130 °F; plusieurs lots sont arrivés impropres faute de logistique fluide.
Dernier kilomètre : le maillon faible logistique
Audits successifs pointent les mêmes maux : retards d’achat, parcs routiers limités et ruptures chroniques. En Ouganda, la majorité des centres de santé déclarent une pénurie de médicaments essentielle au moins une fois par semestre, compromettant les soins de première ligne.
En Éthiopie, une revue humanitaire a attribué de faibles notes à la gestion des transports ; pistes dégradées et absence de données en temps réel prolongent les délais. L’Africa CDC souligne que la fragmentation de la logistique prive toujours les décideurs d’une vision fiable des stocks disponibles.
Pourtant, le continent héberge des acteurs performants : spécialistes du froid, 3PL, 4PL, compagnies régionales et start-ups de suivi par GPS. Leur plafond de verre est l’isolement : peu visibles, ils sont rarement sélectionnés, tandis que des contrats coûteux reviennent à des firmes étrangères.
Congo-Brazzaville : initiatives publiques et privées
À Brazzaville, le ministère de la Santé a récemment renforcé son unité de chaîne du froid, doublant la capacité de stockage de vaccins. Un partenariat avec une PME locale de drones permet désormais des livraisons express vers les districts fluviaux, réduisant les temps d’acheminement de moitié.
Le Centre national de médecine préventive forme en continu des techniciens frigoristes et des gestionnaires de stock. « La compétence locale est notre premier rempart », souligne la directrice du programme élargi de vaccination, rappelant que la maintenance régulière évite la perte d’un millier de doses chaque mois.
Dans le corridor Pointe-Noire-Ouesso, des transporteurs congolais testent un système de géolocalisation partagé avec la plateforme du ministère. Les alertes automatiques permettront d’ajuster les itinéraires en cas d’obstacle routier, limitant les pertes de produits thermosensibles et rationalisant la facture carburant.
La plateforme Logistics Marketplace : un carrefour régional
Lancée avec l’appui du Global Fund, la Logistics Marketplace référence déjà plus de 600 prestataires africains. Les agences publiques congolaises y accèdent gratuitement et comparent, en quelques clics, tarifs, certifications qualité et couvertures géographiques, raccourcissant des procédures d’achat auparavant longues de plusieurs mois.
Au-delà de la mise en relation, la plateforme agrège des flux de données anonymisées. Ces informations nourrissent les tableaux de bord nationaux ; les gestionnaires anticipent ainsi les ruptures grâce à des projections sur la température des conteneurs, la disponibilité des camions et la saturation des entrepôts.
Scénarios : vers une logistique prédictive
Si les données privées alimentent les systèmes publics, les pays pourront passer d’une posture réactive à une logique prédictive. Un module pilote, testé en Tanzanie, déclenche déjà des redistributions automatiques avant qu’un seuil critique ne soit atteint, réduisant de 30 % les stock-outs d’antirétroviraux.
À plus long terme, l’intelligence artificielle pourrait modéliser les itinéraires selon la saison des pluies et la disponibilité énergétique. Les entreprises congolaises positionnées sur cette niche pourraient capter de nouveaux marchés sous-régionaux, tout en consolidant une expertise locale exigeante en cybersécurité et en protection des données.
Le point économique
Selon le cabinet McKinsey, améliorer la distribution finale pourrait libérer jusqu’à 4 milliards de dollars par an en économies sur les achats de santé en Afrique. Au Congo-Brazzaville, la mutualisation des tournées permettrait déjà d’optimiser 15 % du budget logistique vaccins.
Regards d’experts
« L’élément humain reste central », rappelle Dr Awa Dia, experte en supply-chain. Pour elle, rémunérer correctement les chauffeurs, former les magasiniers et offrir des carrières attractives en data-analyse est le moyen le plus sûr de pérenniser les avancées techniques obtenues grâce aux bailleurs.
Et après ?
La création d’un label régional de qualité logistique, portée par l’Union africaine, est à l’étude. Associée à des financements verts, cette labellisation pourrait accélérer l’achat de camions électriques et de conteneurs solaires, rapprochant un peu plus le continent de la souveraineté sanitaire voulue.
