Ce qu’il faut retenir
Depuis Bangui, un noyau d’officiers et de juristes aux parcours atypiques tient les leviers de l’appareil sécuritaire et électoral, selon plusieurs rapports publiés en 2025.
Leur ascension, souvent sans cursus achevé, se nourrit de fidélités tribales, de soutiens étrangers – notamment du groupe Wagner – et d’une logique de protection rapprochée autour du président Faustin-Archange Touadéra.
Un système façonné par la loyauté
La garde présidentielle, pilier du régime, sert de filtre à toutes les promotions militaires décisives. Le critère premier n’est plus le grade, mais la proximité personnelle avec le chef de l’État.
Cette organisation parallèle fragilise la chaîne de commandement classique, tout en donnant naissance à des unités spéciales engagées contre la rébellion CPC et contre tout dissident urbain.
Colonel Jules Wananga, bras armé de l’ombre
Peu médiatisé, Wananga dirige la section qui protège la résidence privée de Touadéra. Aux dires de témoins, son unité agit comme une police personnelle, rapide et redoutée.
Composée majoritairement de Ngbaka-Mandja, la formation qu’il contrôle a été repérée à Bangui et Damara lors d’opérations de ratissage visant des quartiers Gbaya, en coordination avec des miliciens anti-balaka surnommés « les Requins ».
Général Freddy Johnson Sakama, ascension express
Sans diplôme d’école de guerre, Sakama est passé de colonel à général de division en trois ans. Il supervise les opérations des FACA sous l’œil du chef d’état-major Zéphirin Mamadou.
Présenté comme architecte de la Stratégie nationale de défense adoptée en 2024, il reste contesté depuis la déroute de Sikikédé, où ses choix tactiques ont été accusés d’avoir dispersé les troupes.
Les reproches d’une défaite embarrassante
Pendant que l’armée cherchait des responsables, Sakama a pointé les mercenaires de Wagner pour expliquer le repli précipité. Les Russes, eux, ont dénoncé une indiscipline congénitale des FACA.
Cette querelle publique a exposé les tensions croissantes entre partenaires étrangers et officiers locaux, tout en cimentant la position de Sakama auprès du palais présidentiel, qui a salué son « sens de la coordination ».
Gabriel Ngakoutou Patassé, l’homme qui savait tout
Neveu de l’ancien président Patassé, Gabriel a gravi les échelons malgré des études militaires chaotiques à Saint-Louis puis à Lomé.
Chef du bataillon d’appui, il collecte renseignements et suspects supposés proches de la CPC. Sous son autorité, des détentions arbitraires et des interrogatoires musclés sont signalés par des ONG locales.
Une galaxie d’intermédiaires
Patassé coordonne avec des cadres du GSPR, du BIT7 et des superviseurs de Wagner, créant un chevauchement opaque des missions de sécurité à Bangui.
Des miliciens recrutés par Mohamed Rahama et Douze Puissance complètent ce dispositif hybride, brouillant la frontière entre armée régulière et groupes paramilitaires.
Wallot Makpanga, relais stratégique de Wagner
Né dans une famille militaire, Makpanga a exploité chaque crise pour accélérer sa promotion, usant de dénonciations internes pour éliminer rivaux et critiques.
À la tête du BIT6 depuis 2020, il reçoit ses ordres d’officiers du GSPR et de représentants russes. Son unité est pointée dans le massacre de Boyo en décembre 2021.
Méthodes musclées, résultats discutés
Le BIT6 opère des « nettoyages » dans des villages Gbaya et Peuls, justifiés officiellement comme des opérations antiterroristes. Les associations de victimes parlent plutôt d’exécutions extrajudiciaires.
Malgré ces accusations, Makpanga conserve la confiance du palais, grâce à sa capacité à conduire des opérations rapides et à livrer un territoire sans rebelles.
Mathias Barthélemy Morouba, juriste devenu arbitre des urnes
Docteur en droit et ex-militant des droits humains, Morouba dirige l’Autorité Nationale des Élections depuis 2020, adoubé par l’homme d’affaires Sani Yalo.
Sa gestion polémique du scrutin présidentiel de janvier 2021, où un pourcentage erroné a brièvement offert 110 % de suffrages cumulés, nourrit les doutes sur l’indépendance de l’ANE.
Flux financiers et alignements extérieurs
Plusieurs sources affirment qu’environ 350 millions de francs CFA ont circulé pour « sécuriser » la proclamation finale des résultats, évitant un second tour.
En visite à Moscou en 2022, Morouba a salué la « leçon électorale russe », déclarations jugées complaisantes par les observateurs de l’Union africaine.
Contexte : militarisation et influences croisées
L’arrivée de Wagner en 2018 a profondément modifié l’équilibre entre forces nationales et partenaires occidentaux, offrant au pouvoir une alternative sécuritaire moins regardante sur les droits humains.
Cette présence étrangère renforce la tentation d’un appareil sécuritaire personnalisé, au détriment de la professionnalisation voulue par l’Union européenne à travers l’EUTM-RCA.
Scénarios possibles
À court terme, une victoire militaire totale sur la CPC paraît improbable, même avec l’appui de Wagner. Le risque est celui d’un conflit chronique à basse intensité.
Un dialogue politique inclusif pourrait réduire la dépendance aux mercenaires et rééquilibrer la chaîne de commandement militaire, selon des universitaires de l’Université de Bangui.
Et après ?
Les partenaires régionaux, du Tchad au Congo-Brazzaville, encouragent déjà une approche de sécurité partagée pour stabiliser les frontières communes.
Sans réforme en profondeur, l’armée centrafricaine restera soumise à des logiques de clans et d’alliances extérieures. La professionnalisation, condition d’un retour à la confiance citoyenne, devra s’imposer comme priorité nationale.