Ce qu’il faut retenir
Le troisième Sommet sur le financement du développement des infrastructures, tenu le 29 octobre à Luanda, marque une bascule : les dirigeants africains veulent mobiliser jusqu’à 170 milliards $ par an pour réduire le déficit logistique qui bride la croissance continentale.
Le président angolais João Lourenço, également à la tête de l’Union africaine, a exhorté ses pairs à passer « des paroles aux actes ». Les annonces portent sur des capitaux africains, des instruments climatiques et des partenariats ciblés, tous tournés vers la Zone de libre-échange continentale (ZLECAf).
Luanda impulse une souveraineté économique
Dans l’amphithéâtre tapissé des drapeaux nationaux, la rhétorique de l’autodétermination résonne. Mahmoud Ali Youssouf, président de la Commission de l’UA, insiste : « Nous passons d’une logique d’assistance à une logique d’alliance. » L’heure est à la captation de l’épargne locale et à la sécurisation des recettes douanières.
La directrice générale de l’AUDA-NEPAD, Nardos Bekele-Thomas, rappelle que Dakar avait lancé la dynamique en 2023. Depuis, 1,5 milliard $ a été levé pour treize projets transfrontaliers, signe que le pipeline d’infrastructures devient enfin bancable selon les critères des marchés.
Les couloirs ferroviaires, la fibre optique et les réseaux d’énergies propres forment le triptyque mis en avant. Sans ces maillons, la ZLECAf resterait un slogan. Avec eux, le continent pourrait augmenter de 7 % ses échanges intrarégionaux d’ici 2030, selon l’UA.
Des chiffres qui parlent
La Banque africaine de développement estime que le manque d’infrastructures coûte deux points de PIB par an aux économies subsahariennes. À Luanda, les experts répètent que chaque dollar investi dans la logistique génère six dollars de PIB additionnel sur vingt ans.
Les besoins se situent entre 130 et 170 milliards $ annuels, concentrés dans l’énergie, les transports et l’eau. Or la dépense publique africaine supporte déjà 55 % de l’effort. L’appel à la mobilisation du secteur privé devient donc crucial pour équilibrer la feuille de route.
Un nouveau Fonds de développement de projets pour les infrastructures vertes, géré par Africa50, dispose de 118 millions $ pour amorcer les études techniques. Le levier attendu repose sur l’effet de démultiplication auprès d’investisseurs institutionnels nationaux, notamment les fonds de pension.
Voix de dirigeants et signaux politiques
Au micro, Lerato Dorothy Mataboge, commissaire UA aux infrastructures, martèle qu’aucun pays ne pourra s’industrialiser isolément. Elle plaide pour des corridors régionaux comme la ligne Pointe-Noire-Brazzaville-Libreville, interface naturelle entre le Congo et la façade atlantique.
Les présidents présents – de l’Angola au Botswana – valorisent une « diplomatie des chantiers ». João Lourenço loue la discipline budgétaire retrouvée à Luanda, tandis que des envoyés spéciaux de Brazzaville soulignent la complémentarité entre zones économiques spéciales congolaises et nouveaux hubs ferroviaires.
Le sommet se garde de critiquer les partenaires internationaux. Au contraire, il encourage des co-financements ciblés, mais sous leadership africain, afin de préserver la marge de manœuvre des trésors publics.
De Dakar à Brazzaville, la dynamique des corridors
La boucle routière Dakar-Lagos, le port en eau profonde de Banana en RDC et la modernisation du rail Congo-Océan illustrent la continuité entre l’Afrique centrale et occidentale. Chaque tronçon facilite la circulation des biens, mais aussi des innovations numériques embarquées.
Pour le Congo-Brazzaville, ces artères offrent un débouché rapide vers les marchés ouest-africains. Les autorités locales misent sur la transformation du bois et l’agro-industrie, secteurs gourmands en logistique. Une meilleure connectivité réduirait jusqu’à 30 % les coûts de transport selon le ministère congolais du Plan.
L’intégration énergétique progresse également. Le projet Inga III, en amont du fleuve Congo, pourrait alimenter les réseaux du Pool énergétique d’Afrique centrale. À Luanda, les délégations ont plaidé pour un mécanisme régional de partage des garanties souveraines afin d’attirer les développeurs privés.
Les financiers rappellent toutefois que la gouvernance des projets reste déterminante. L’Observatoire africain des infrastructures note que la transparence contractuelle réduit de moitié les délais de mise en service.
Banques, pensions et Green Deals
Trois protocoles d’accord ont été signés : mobilisation des fonds de pension sous l’égide de l’Association africaine de sécurité sociale, dotation de 500 millions $ avec Qatar Airways pour l’énergie renouvelable, lancement de l’Angola Export and Trade Facility pour stimuler le commerce régional.
Les chambres de négociation, inspirées des « deal rooms » de Davos, ont réuni développeurs et investisseurs autour de projets TIC, eau et transport d’un montant agrégé de 9 milliards $. Objectif : conclure les due diligences avant le premier trimestre 2025.
La tendance lourde reste l’adossement aux marchés verts. Les obligations durables émises par l’Afrique ont doublé en deux ans. Les équipes d’Africa50 estiment que 40 % du pipeline actuel peut prétendre au label climatique, ce qui baisse les coûts d’emprunt de 60 points de base.
Et après ? Les calendriers serrés
Le communiqué final fixe une fenêtre de douze mois pour transformer les protocoles en contrats fermes. Un comité de suivi, coprésidé par l’UA et la BAD, publiera un tableau de bord trimestriel des progrès.
La prochaine revue se tiendra à Kigali. Entre-temps, les États sont invités à finaliser les réformes juridiques facilitant les partenariats public-privé et à adopter des plans nationaux de mobilité qui s’imbriquent dans les grands réseaux continentaux.
Analystes et diplomates jugent le pari audacieux mais réalisable. La fenêtre démographique du continent s’élargit encore pendant deux décennies. Luanda devient ainsi le symbole d’une Afrique qui choisit d’investir collectivement dans sa jeunesse plutôt que d’en subir l’exode.
