Luanda : un forum stratégique pour l’avenir agricole ivoirien
Le 23 juin 2025, la capitale angolaise s’est muée en carrefour diplomatique d’envergure. Sous les lambris du Centre de conférences de Talatona, le Sommet États-Unis–Afrique a réuni chefs d’État, investisseurs et experts, décidés à redessiner les courbes des flux économiques transatlantiques. Invité à s’exprimer lors d’un panel de haut niveau, le Premier ministre ivoirien, Robert Beugré Mambé, a martelé un leitmotiv qu’il juge non négociable : « Produire en Afrique, transformer en Afrique ». Dans un contexte où la compétitivité mondiale se joue désormais sur la chaîne de valeur plutôt que sur le volume brut exporté, cette formule synthétise l’ambition d’Abidjan de gravir les échelons de la sophistication industrielle.
L’agro-transformation, levier de souveraineté économique africaine
Premier producteur mondial de cacao et de noix de cajou, tout en occupant des positions dominantes sur le coton, le café, l’huile de palme ou le manioc, la Côte d’Ivoire expédie encore près des deux tiers de sa production sous forme de matières premières. Beugré Mambé entend inverser ce paradigme en internalisant la conversion de la fève en chocolat, de la noix en beurre cosmétique ou du manioc en amidon destiné aux bioplastiques. La création de valeur sur le territoire national, explique-t-il, constitue une « condition cardinale pour accroître le revenu rural, stabiliser la jeunesse et consolider la paix sociale ». Cette logique s’inscrit dans le sillage de l’Agenda 2063 de l’Union africaine, qui fait de l’industrialisation verte un pilier de la souveraineté continentale.
Les infrastructures ivoiriennes, vecteur de confiance pour les investisseurs
La trajectoire macroéconomique de la Côte d’Ivoire, forte d’un taux de croissance avoisinant 6 % depuis une décennie, est ardemment mise en avant par le chef du gouvernement. Abidjan s’appuie sur un réseau d’autoroutes flambant neuf, une interconnexion portuaire modernisée autour de San-Pédro et d’Abidjan, ainsi que sur un maillage énergétique dopé par le gaz naturel offshore. À ces atouts tangibles s’ajoute le Programme national d’investissement agricole 3, doté de 5,6 milliards de dollars, qui prévoit la mise en place de vingt-deux zones agro-industrielles assorties de laboratoires de certification, d’entrepôts frigorifiques et de guichets uniques douaniers. Autant de signaux de fiabilité adressés aux capitaines d’industrie américains en quête d’écosystèmes résilients.
Partenariat États-Unis–Côte d’Ivoire : cap sur la montée en gamme des filières
Les échanges agricoles entre Abidjan et Washington frôlent aujourd’hui les 100 millions de dollars par an, mais l’administration américaine estime le potentiel à au moins 200 millions d’ici cinq ans. Le Bureau des affaires africaines du Département d’État, représenté par Troy Fitrell, a confirmé le déploiement d’un dispositif conjoint U.S. African Development Foundation–DFC visant à mobiliser des prêts concessionnels et des garanties de risque politique pour les PME ivoiriennes. Il s’agit, selon le diplomate, d’« accompagner la conversion du cacao en produits finis, l’usinage de la noix de cajou et la diversification nutritive du manioc », des segments où l’expertise technologique américaine est réputée. Plusieurs protocoles d’accord sont en négociation avancée avec des firmes de l’Ohio et de la Californie pour l’implantation, dès 2026, d’unités semi-automatisées autour de Yamoussoukro et de Korhogo.
Un signal régional, de Brazzaville à Abidjan : vers un marché intégré
Au-delà de l’enjeu bilatéral, la stratégie ivoirienne résonne comme un catalyseur pour l’intégration économique d’Afrique centrale et de l’Ouest. À Brazzaville, le gouvernement du président Denis Sassou Nguesso suit avec intérêt cette montée en puissance, convaincu qu’elle peut dynamiser la Zone de libre-échange continentale africaine et ses propres zones économiques spéciales de Maloukou-Tréchot et d’Oyo-Ollombo. L’émergence de corridors logistiques Lagos–Abidjan–Pointe-Noire offrirait de nouvelles débouchées aux producteurs congolais de cacao et de café robusta, tandis que la casse tarifaire négociée au sein de la CEEAC promet de fluidifier les échanges de machines agricoles entre les deux rives du fleuve Congo. Cette convergence exige, selon des diplomates africains rencontrés à Luanda, « une articulation fine entre régimes douaniers, normes phytosanitaires et initiatives climatiques », tâche à laquelle la Commission économique pour l’Afrique entend se consacrer.
Défis climatiques et formation, pierres angulaires d’une agriculture durable
La rentabilité des futures usines dépendra de la disponibilité d’une matière première certifiée et résiliente face à la variabilité climatique. Le ministère ivoirien de l’Agriculture a donc lancé un vaste programme de recherche sur des semences à haut rendement et faible empreinte hydrique, en partenariat avec l’université de Purdue et le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement. Parallèlement, plus de 20 000 jeunes agripreneurs sont inscrits dans des cursus de formation duale, alternant apprentissage pratique en coopérative et modules de management. « La compétitivité ne sera durable que si elle s’appuie sur des producteurs bien formés et une gouvernance foncière transparente », souligne l’économiste Kouadio Brou, membre du Comité national de suivi de la transformation agricole.
Perspectives bilatérales et multilatérales au-delà de 2026
Les premières unités de transformation attendues pour 2026 devraient servir de vitrines technologiques, dont le modèle économique pourra être répliqué dans d’autres bassins agricoles africains. Les autorités ivoiriennes tablent sur une hausse de 20 % de la valeur ajoutée agro-industrielle dès 2027 et sur la création directe de près de 80 000 emplois. Sur le plan multilatéral, la Banque africaine de développement a déjà provisionné 300 millions de dollars pour épauler la logistique portuaire, tandis que l’Organisation internationale du cacao envisage un mécanisme de différentiel de rémunération valorisant la transformation locale. En guise de conclusion officieuse, l’ambassadeur des États-Unis en Côte d’Ivoire s’est dit « convaincu que la fève ivoirienne n’est plus seulement un symbole de douceur mais un vecteur de prospérité partagée ». Dans les allées feutrées de Luanda, cette déclaration a été perçue comme l’annonce d’un nouveau chapitre des relations Sud-Nord, où l’Afrique, à l’instar du Congo-Brazzaville et de la Côte d’Ivoire, entend écrire les clauses de ses partenariats.