Un désengagement emblématique du private equity panafricain
La cession de la participation d’AfricInvest dans AFG Holding, officialisée en marge des Assemblées annuelles de la Banque africaine de développement, rappelle que le continent abrite désormais des cycles complets d’investissement dignes des places financières matures. L’opération, intervenue trois années seulement après l’entrée du fonds, intervient dans un environnement où la liquidité se normalise, porté par la convergence réglementaire entre marchés francophones et anglophones et par le regain d’appétit des investisseurs du Golfe et d’Asie pour les actifs africains.
L’initiative revêt d’autant plus de portée qu’elle s’inscrit dans une séquence de sorties très médiatisées – de Silverbacks sur la fintech nigériane LemFi à Mediterrania Capital Partners sur le groupe de paiements MDP – qui conforte l’idée d’un « momentum africain » du private equity, pour reprendre l’expression d’un diplomate européen connaisseur des dossiers financiers de la sous-région.
Un triple levier : capital, gouvernance et diversification régionale
Lorsque l’équipe d’AfricInvest entre au capital d’AFG en 2022, la banque ivoirienne, née en 2006 dans l’écosystème de l’Atlantic Group de l’entrepreneur Koné Dossongui, finalise sa demande de licence bancaire et caresse déjà l’ambition d’un périmètre régional élargi. Outre l’injection de capitaux de croissance, le fonds a mis en place un comité stratégique où se sont côtoyés experts en conformité, anciens banquiers centraux et spécialistes de la digitalisation, condition sine qua non de l’obtention de nouveaux agréments.
Ce conseil resserré a défini un cadre prudentiel aligné sur Bâle III, assis sur une politique de provisionnement renforcée et sur la mise en place d’un dispositif ESG compatible avec les standards de la Société financière internationale. « AFG a rapidement compris que la création de valeur passe autant par une gouvernance exigeante que par la profondeur bilancielle », confie Abissa Kouakou Anzoua, représentant des administrateurs indépendants.
Les chiffres d’une ascension accélérée
Entre 2022 et 2025, le bilan d’AFG Holding est passé de trois à près de six milliards de dollars, tandis que le portefeuille de crédits a crû de 79 %, pour atteindre 2,5 milliards. Dans le même temps, le produit net bancaire a plus que doublé et le retour sur fonds propres a franchi la barre des 28 %.
Ces performances ne doivent rien au hasard. L’acquisition, en septembre 2024, d’Access Microfinance Holding AG – et avec elle cinq institutions de microfinance déployées du Lesotho à la Tanzanie – a fourni un volant de dépôts peu coûteux et un vaste terrain d’expérimentation pour les solutions de banque digitale. Parallèlement, la création d’une banque d’investissement à Maurice et d’une société de bourse au Cameroun a offert de nouveaux relais de croissance hors des frontières ivoiriennes.
Effet d’entraînement sur l’architecture financière africaine
La montée en puissance d’AFG résonne avec la stratégie d’intégration régionale portée par la Zone de libre-échange continentale africaine. En reprenant en 2023 la Banque Populaire de Côte d’Ivoire dans le cadre d’un accord avec l’État, le groupe a démontré que les partenariats public-privé peuvent être catalyseurs de consolidation bancaire, tout en préservant la souveraineté financière. Cette dynamique est suivie de près à Brazzaville comme à Kigali, où les autorités évaluent des scénarios similaires pour renforcer l’intermédiation locale.
Pour Youssouf Koné, associé chez AfricInvest, « le cas AFG prouve que l’exigence de rentabilité n’est pas antinomique avec la mission de bancarisation ». Une déclaration qui trouve écho chez plusieurs institutions multilatérales, convaincues que l’expansion de champions régionaux est la condition d’un financement endogène des infrastructures continentales.
Perspectives pour investisseurs et décideurs
À l’heure où l’inflation mondiale recompose les arbitrages d’actifs, les rendements générés par les sorties africaines apparaissent hautement compétitifs. La fenêtre est d’autant plus attrayante que certains régulateurs, au premier rang desquels la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest, ont clarifié les règles de transférabilité des dividendes, facteur clé pour les limited partners internationaux.
De l’avis des analystes, la prochaine phase se jouera sur la capacité des établissements financiers à combiner agrégation de données et franchises physiques, afin de répondre à une clientèle jeune, majoritairement non bancarisée et avide de solutions transfrontalières. À cet égard, l’expérience d’AFG pourrait servir de matrice, tant pour les banques d’Afrique centrale que pour les conglomérats d’Afrique australe en quête de relais francophones.
En réussissant une sortie jugée « modèle » par les standards internationaux, AfricInvest envoie un signal clair : le capital-investissement africain a changé de dimension, et les portes du marché secondaire s’entrouvrent enfin, avec des perspectives qui n’ont rien à envier aux économies émergentes d’Asie ou d’Amérique latine.