La liste grise, thermomètre d’une confiance financière vacillante
L’inscription de la République démocratique du Congo sur la liste grise du Groupe d’Action Financière en mars 2022 a agi comme un révélateur brutal : au-delà d’un classement technique, elle matérialise la défiance de partenaires financiers qui, dès l’alerte du GAFI, renchérissent les coûts de transaction, restreignent les lignes de crédit et ajournent des investissements stratégiques. Pour Kinshasa, l’enjeu dépasse la simple conformité procédurale ; il touche à la souveraineté économique, à la stabilité monétaire et, in fine, à la capacité de financer les ambitions régionales d’intégration économique au sein de la CEEAC, où Brazzaville demeure un partenaire privilégié.
Les avancées enregistrées sous l’impulsion de la CENAREF
Deux années après l’alerte, la Cellule nationale de renseignements financiers s’enorgueillit d’avoir exécuté près de cinquante-six pour cent des quinze injonctions formulées par le GAFI. La révision de la stratégie nationale contre le blanchiment et le financement du terrorisme, l’adaptation du dispositif législatif à la Convention de Palerme et l’intensification des contrôles auprès des banques et professions non financières désignées ont nourri un faisceau d’indicateurs positifs que saluent, en aparté, plusieurs représentants des missions européennes à Kinshasa. Dans les couloirs du Palais de la Nation, on souligne qu’aucun secteur n’est plus exempté de reporting, y compris les sociétés minières, souvent sous-régulées. Cette normalisation progressive du paysage financier commence à rassurer les bailleurs multilatéraux, même si l’afflux de nouveaux capitaux demeure, pour l’heure, timide.
Leadership et diplomatie financière d’Adler Kisula
À la tête de la CENAREF, Adler Kisula a bâti son influence en privilégiant la pédagogie plutôt que la coercition systématique. Juriste de formation, ancien conseiller à la Cour constitutionnelle, il a, selon un diplomate ouest-africain, « professionnalisé un organe autrefois invisible ». Sous son mandat, la coopération avec la Banque centrale, le Parquet financier et l’Association congolaise des banques s’est institutionnalisée au moyen de protocoles d’échanges d’information, réduisant la latence des enquêtes à moins de trente jours en moyenne. La mise en cause médiatisée d’anciens cadres publics, telle l’affaire Mutamba, a par ailleurs envoyé un signal fort : la lutte contre le blanchiment ne s’arrête plus aux portes des personnalités politiquement exposées. En coulisse, Kisula multiplie les réunions techniques avec le secrétariat du GAFI, démontrant une approche que Washington qualifie de « constructive et mesurable ». Son pari est clair : articuler réforme institutionnelle, communication stratégique et mobilisation politique pour sortir du dispositif de surveillance avant octobre 2025.
La coordination nationale, gage d’une sortie durable
L’expérience des pays récemment libérés de la liste grise, à l’instar du Maroc, rappelle qu’aucune avancée n’est irréversible sans pilotage interministériel fort. Kinshasa a conscience que l’exercice ne peut reposer uniquement sur l’expertise de la CENAREF. Le Parlement doit encore voter deux textes renforçant la traçabilité des bénéficiaires effectifs, tandis que le ministère des Finances planche sur un mécanisme de gel administratif des avoirs tirant les leçons des sanctions ciblées onusiennes. Le secteur privé, pour sa part, exige un guichet unique de conformité afin de réduire les coûts d’adaptation. Enfin, la société civile, par la voix du Centre national anti-corruption, réclame des données publiques sur les condamnations prononcées, arguant qu’une transparence accrue accélère l’adhésion populaire. Autant de maillons qui, s’ils cèdent, risqueraient de retarder la levée de la surveillance et d’alimenter un isolement bancaire toujours possible.
Effets d’entraînement régionaux : une opportunité pour Brazzaville
Au-delà des frontières congolaises, la normalisation financière de Kinshasa exerce une influence d’entraînement sur ses voisins. Le Congo-Brazzaville, qui partage une communauté de destin avec la RDC dans la zone CEMAC-CEEAC, voit dans cette dynamique un catalyseur de convergence réglementaire. Les autorités de Brazzaville, soucieuses de préserver le climat de confiance qui a valu à leur système bancaire les éloges du FMI, ont proposé un mécanisme de partage d’expertise en matière de due diligence, démarche saluée par les chancelleries occidentales. Selon un officiel congolais, cette coopération « illustre la maturité des relations bilatérales et consolide la crédibilité régionale face aux attentes croissantes des investisseurs ». Dans une sous-région où l’intégration économique reste un défi, l’alignement progressif des normes LBC/FT pourrait constituer l’un des socles d’une future union financière, limitant les arbitrages règlementaires et renforçant la résilience des systèmes bancaires.
Urgence et responsabilité partagée à l’horizon 2025
L’échéance fixée par le GAFI à octobre 2025 agit comme un chronomètre impitoyable. Les progrès déjà réalisés prouvent la faisabilité d’une sortie qui serait salutaire non seulement pour la RDC mais pour l’ensemble de la sous-région, tant les interdépendances bancaires sont fortes. Toutefois, la page ne pourra se tourner qu’à la condition d’injecter des moyens budgétaires supplémentaires, de maintenir la volonté politique quel que soit le calendrier électoral et de convaincre le secteur privé que la régularité, loin d’être une contrainte, constitue un passeport vers la compétitivité mondiale. L’enjeu, rappelle Adler Kisula, « n’est pas d’obtenir une faveur, mais de faire la démonstration que l’État entend honorer ses engagements internationaux ». À cette aune, la conformité apparaît moins comme une capitulation aux injonctions externes que comme un exercice de souveraineté retrouvée.