Une scène protocolaire révélatrice des ambitions tchadiennes
Le 25 juin, les marbres immaculés du palais Toumaï ont de nouveau servi d’écrin à la projection internationale du Tchad. Entouré d’un détachement de la garde présidentielle au cérémonial millimétré, le général Mahamat Idriss Déby a reçu les lettres de créance de six diplomates représentant Djibouti, le Rwanda, l’Iran, le Venezuela, la Malaisie et le Portugal. Au-delà du rituel, l’événement atteste d’une diplomatie tchadienne en recomposition depuis la transition ouverte en 2021, déterminée à élargir la palette de ses partenaires et à consolider son rôle de pivot sécuritaire dans le Sahel.
Dans un contexte régional marqué par la persistance des insurrections jihadistes et par la reconfiguration des alliances militaires, N’Djamena entend capitaliser sur son positionnement géographique ainsi que sur son expérience de lutte contre les groupes armés pour accroître sa marge de manœuvre. La mise en scène de cette cérémonie, diffusée en direct sur la télévision nationale, s’inscrit dans une stratégie d’affirmation de souveraineté et d’attractivité — un message à l’adresse tant des voisins que des capitales plus lointaines.
Djibouti et Rwanda, la promesse d’un corridor est-africain
L’accréditation d’Abdi Mahamoud Eybé, premier ambassadeur djiboutien à N’Djamena, matérialise une connexion rêvée entre mer Rouge et Sahel. « Nos deux pays partagent une même tradition de résilience et de coopération continentale », a-t-il souligné, en rappelant la communauté linguistique et culturelle façonnée par l’usage du français et de l’arabe. Djibouti, plaque tournante portuaire et numérique, peut offrir au Tchad, enclavé, un accès élargi aux marchés internationaux ainsi qu’une expertise logistique dans la gestion des corridors commerciaux (déclaration à la presse, 25 juin).
Christophe Bazivamo, figure politique rwandaise aguerrie, a, pour sa part, rappelé la visite à Kigali du défunt maréchal Idriss Déby Itno en 2022, qui avait ouvert la voie à un accord de coopération globale. La perspective d’une commission mixte, évoquée par l’ambassadeur, laisse entrevoir des échanges renforcés dans l’agriculture de conservation, la formation militaire et la gouvernance numérique. La symbolique est forte : le Tchad tisse désormais des relations horizontales Sud-Sud à haute valeur ajoutée, contribuant à désenclaver son horizon diplomatique souvent polarisé entre Paris, Washington et Riyad.
Des partenaires extra-africains aux agendas pluriels
La triple candidature de Téhéran, Caracas et Kuala Lumpur illustre la capacité du Tchad à susciter l’intérêt d’acteurs aux profils économiques et politico-idéologiques contrastés. L’ambassadeur iranien a mis en avant la complémentarité énergétique, estimant que « le savoir-faire pétrochimique de l’Iran peut soutenir la modernisation des raffineries tchadiennes ». Son homologue vénézuélien a, lui, insisté sur les synergies au sein de l’Opep et la défense d’un multilatéralisme attentif aux économies émergentes.
Quant à Hishamuddin Mohd Yazid, représentant de la Malaisie, il a évoqué l’expérience de son pays dans l’agro-industrie halal, susceptible de contribuer à la diversification des revenus ruraux tchadiens. Enfin, le diplomate portugais a rappelé que Lisbonne voit dans le Sahel un maillon essentiel de la sécurité euro-méditerranéenne, d’où sa volonté d’étendre la coopération en matière de formation linguistique et de sécurité maritime sur le fleuve Chari-Logone.
Le palais Toumaï, miroir d’une stabilité recherchée
Aux yeux des chancelleries, la transition politique conduite par le président Déby fils reste un processus à la fois fragile et prometteur. Néanmoins, la présence simultanée de six ambassadeurs — dont deux issus de régions traditionnellement éloignées des affaires sahéliennes — traduit une confiance renouvelée dans la capacité des autorités tchadiennes à garantir la continuité de l’État et à favoriser un environnement d’affaires sécurisé.
Cette confiance est confortée par les récentes avancées du dialogue national inclusif et par l’annonce d’un calendrier électoral jugé crédible par plusieurs observateurs africains. Les nouveaux partenaires entendent capitaliser sur cette fenêtre d’opportunité pour établir un accès précoce à des secteurs porteurs : infrastructures routières, télécommunications, exploitation minière et énergies renouvelables.
Vers une architecture régionale de sécurité et de développement
L’ouverture à Djibouti et au Rwanda s’inscrit aussi dans la quête d’un maillage sécuritaire multipolaire entre l’Atlantique et l’océan Indien. Pour N’Djamena, la coopération militaire avec Kigali – réputée pour la rapidité de déploiement de ses forces – pourrait offrir un complément opérationnel aux actions contre les groupes terroristes actifs dans le bassin du lac Tchad. Parallèlement, la diplomatie économique djiboutienne, en lien avec des investisseurs du Golfe, semble prête à soutenir des projets de pipelines et de voies ferrées reliant Port-Sudan aux gisements pétroliers tchadiens.
À moyen terme, cette stratégie pourrait aboutir à un corridor Sahel-mer Rouge, articulé autour de plateformes logistiques intégrées, d’une interconnexion énergétique et d’un régime douanier harmonisé. Autant d’initiatives qui résonnent avec les priorités de l’Agenda 2063 de l’Union africaine et qui renforcent le positionnement de N’Djamena comme point d’appui incontournable pour la stabilité du cœur sahélien.
Un tournant diplomatique mû par la diversification et le réalisme
En définitive, la remise des lettres de créance du 25 juin dépasse l’instant protocolaire pour s’apparenter à la traduction tangible d’une politique étrangère orientée vers la diversification, le pragmatisme et le partenariat gagnant-gagnant. En accueillant des diplomates issus de trois continents, le Tchad affirme simultanément son autonomie stratégique et sa volonté de contribuer activement aux mécanismes de sécurité collective, du G5 Sahel à la CEEAC.
Cette « valse diplomatique à six » pourrait ouvrir la voie à des soutiens techniques et financiers indispensables à la relance économique du pays, tout en consolidant le statut de N’Djamena comme interface entre l’Afrique centrale, l’Afrique de l’Est et le Maghreb. Reste désormais à convertir ces intentions affichées en programmes concrets, dont le suivi sera scruté avec attention par les bailleurs institutionnels et les chancelleries qui y voient un test de maturité pour la transition tchadienne.