Une sortie africaine aux contours stratégiques affûtés
Dans l’ombre des salles de marché londoniennes, les équipes de Standard Chartered avaient mûri, depuis plusieurs trimestres, la décision de réviser leur empreinte africaine. L’annonce du retrait d’Angola, du Zimbabwe et de Sierra Leone a donc surpris moins par son principe que par l’ampleur de la perte comptable affichée : 217 millions USD. Si l’on en croit le communiqué daté du 31 octobre, l’opération s’inscrit dans un recentrage sur les marchés jugés « à fort rendement ajusté du risque », notamment l’Asie du Sud et le Moyen-Orient. Cette réallocation de capital répond à une tendance de fond : l’exigence accrue de fonds propres sous Bâle III et la concurrence de nouveaux acteurs digitaux imposent aux banques traditionnelles de réduire leur dispersion géographique.
Les soubresauts monétaires, principal catalyseur de la déperdition de valeur
Au-delà de la mécanique de cession, la direction a identifié les fluctuations de change comme première cause de la décote. La branche zimbabwéenne, libellée dans un dollar local sujet à d’abrupte dépréciations, concentre l’essentiel de la lessive financière. Le kwanza angolais et le leone sierra-léonais n’ont pas davantage préservé leur pouvoir d’achat face au billet vert, aggravant l’écart entre la valeur économique intrinsèque des actifs et leur contrepartie comptable en dollars. En clair, l’exercice de conversion au taux spot du jour de la transaction s’est avéré plus douloureux que prévu, rappelant qu’en Afrique australe et occidentale la volatilité monétaire demeure un risque systémique pour les opérateurs transfrontaliers.
Angola, Zimbabwe, Sierra Leone : trois contextes, trois réalités
En Angola, Standard Chartered ne détenait qu’une participation minoritaire, mais la banque lorgnait depuis longtemps les grands contrats pétroliers. La montée en puissance de prêteurs locaux soutenus par Luanda, plus prompts à financer la Sonangol ou les projets d’infrastructure chinois, a réduit la marge de manœuvre du groupe britannique. Dans ce marché désormais dominé par la Banque de Fomento Angola et la BAI, le départ de Standard Chartered n’a pas suscité d’émoi majeur parmi les autorités, soucieuses de promouvoir la « local content policy ».
Au Zimbabwe, la filiale, héritière de l’époque coloniale, jouait un rôle historique dans les paiements internationaux. Les sanctions financières occidentales, l’hyperinflation chronique et un environnement réglementaire mouvant ont vidé, année après année, le portefeuille d’entreprises multinationales qui constituaient sa clientèle traditionnelle. D’où l’accumulation de pertes latentes, finalement cristallisées au moment de la vente.
En Sierra Leone enfin, Standard Chartered servait principalement les acteurs miniers et l’aide internationale. Le ralentissement du minerai de fer, conjugué aux répercussions budgétaires de la pandémie d’Ebola, a fragilisé l’activité. Le rachat par un consortium d’investisseurs locaux s’inscrit dans la volonté de Freetown de rapatrier les leviers de financement du secteur extractif.
Effets d’entraînement sur le paysage bancaire africain
La sortie d’un acteur historique de la City envoie un signal fort aux régulateurs africains. Certains y voient la confirmation que l’environnement post-Covid favorise l’essor de groupes panafricains tels qu’Ecobank, Access Bank ou Attijariwafa Bank, mieux acclimatés aux réalités locales. Pour d’autres, le départ d’une enseigne disposant d’un solide réseau de correspondants internationaux pourrait freiner la bancarisation des PME, déjà confrontées à des coûts de compliance élevés.
Côté investisseurs, la question clé demeure l’accès au financement du commerce extérieur. Sans la garantie d’une banque disposant d’un rating international, les lettres de crédit émises par des établissements régionaux risquent de se renchérir. La Banque africaine de développement a d’ores et déjà indiqué travailler à des mécanismes de partage de risques destinés à combler ce vide.
Regards croisés d’experts sur la portée diplomatique du retrait
Pour un ancien responsable de la Banque d’Angleterre, interrogé sous couvert d’anonymat, « la décision illustre la difficulté, pour une banque occidentale, de concilier ambitions globales et réalités réglementaires locales ». Du côté du Trésor sud-africain, on rappelle que la coopération financière Nord-Sud passe de plus en plus par des plateformes multilatérales, à l’image de l’African Trade Insurance Agency, plutôt que par des filiales de grands groupes étrangers.
La dimension diplomatique n’est pas anodine. Le retrait de Standard Chartered intervient alors que Londres promeut son initiative Global Britain et multiplie les missions commerciales sur le continent. En renonçant à trois marchés jugés non stratégiques, la City semble vouloir concentrer ses forces sur des corridors jugés plus compatibles avec ses priorités industrielles et énergétiques, au premier rang desquels le Kenya et le Ghana. Loin de jeter un voile d’ombre sur la relation Afrique-Royaume-Uni, l’épisode rappelle surtout la métamorphose permanente de la finance mondiale : mobile, sélective et soumise à l’arbitraire des cycles monétaires.
Reste que les 217 millions USD de perte, bien que significatifs, représentent moins d’un pour cent des revenus annuels du groupe. Standard Chartered conserve donc des marges de manœuvre pour renforcer ses investissements dans les hubs où il estime disposer d’un avantage comparatif, notamment la gestion de patrimoine à Singapour et la banque d’investissement à Dubaï.
Entre nécessité comptable et réalpolitik financière
En refermant le chapitre angolais, zimbabwéen et sierra-léonais, Standard Chartered acte une page d’histoire ouverte dès le XIXᵉ siècle. La perte de 217 millions USD n’est que la cristallisation d’une réalité plus profonde : la fragmentation croissante du marché bancaire africain et l’émergence d’acteurs domestiques puissants bouleversent l’équilibre traditionnel des flux de capitaux. Pour les diplomates et décideurs qui observent la scène, le cas Standard Chartered souligne l’importance pour chaque État de disposer d’un écosystème financier résilient, apte à absorber les chocs de change et à conserver les capitaux au service du développement local.