Brazzaville, capitale sonore du continent
Du 19 au 26 juillet, Brazzaville se pare d’harmonies bigarrées alors que la douzième édition du Festival panafricain de musique galvanise artistes, diplomates et chercheurs. Dans les couloirs du Palais des congrès, les échos d’orchestres traditionnels rencontrent les réflexions stratégiques sur l’avenir de l’industrie culturelle africaine. C’est dans cette atmosphère foisonnante que le Musée panafricain de la musique, installé depuis 2008 sur le site de l’École nationale des beaux-arts Paul-Kamba, a reçu une série d’instruments inédits, scellant l’événement phare de l’édition 2025.
Un héritage organologique en expansion
Le pendé congolais au timbre profond, le goni ivoirien à la voix des griots, l’inanga mauritanien à la résonance cérémonielle, l’umuduri rwandais berceur, l’inyahura sénégalais aux accents festifs et un imposant xylophone façonné dans du bois d’iroko composent les nouvelles pièces maîtresses de la collection. Chacun de ces instruments incarne une cosmogonie, un système de croyances, un usage communautaire. « Le goni n’est pas qu’une flûte, il magnifie les mémoires du peuple », rappelle Abdou Sambadjiata, directeur général ivoirien de la Culture, rappelant la fonction mémorielle des griots. Même sobriété dans la voix de Vienvona Bobajidou, responsable mauritanienne des Arts : « L’inanga demeure le cœur battant de nos rites initiatiques, exclusivement tenu par les hommes lors de célébrations majeures. »
Donations et soft power continental
Si l’acte de donation se veut patrimonial, il n’en reste pas moins un vecteur de soft power. La présence de délégations officielles, sous l’égide de la ministre congolaise de l’Industrie culturelle, touristique, artistique et des Loisirs, Marie Hélène Lydie Pongault, illustre la convergence d’intérêts. Le Congo-Brazzaville, fort de la stabilité institutionnelle impulsée par le président Denis Sassou Nguesso, apparaît comme un pôle d’attraction pour la coopération culturelle. Hugues Gervais Ondaye, commissaire général du Fespam, souligne la « volonté partagée de confier à la musique un rôle fédérateur dans le dialogue interétatique ». À l’heure où le continent diversifie ses instruments d’influence, la scène musicale devient une plateforme diplomatique à part entière.
Numériser pour pérenniser
Grâce au programme Prima mené avec le Musée des instruments de musique de Bruxelles, l’inventaire brazzavillois s’ancre désormais dans l’ère numérique. Captations haute définition, modélisations 3D et fiches ethnomusicologiques multilingues accroissent la visibilité de ces artefacts et facilitent leur étude à distance. L’initiative répond à une exigence de conservation face aux aléas climatiques et au risque de déperdition orale. Elle favorise également la circulation des savoirs, condition sine qua non d’une diplomatie scientifique efficace, tout en offrant aux diasporas une passerelle vers leurs imaginaires sonores d’origine.
Le Musée, laboratoire de cohésion
Au-delà de la vitrine, le Musée panafricain de la musique s’érige en laboratoire de cohésion sociale. Des ateliers d’organologie appliquée permettent aux jeunes plasticiens congolais de dialoguer avec des maîtres-luthiers sénégalais ou ghanéens, faisant émerger des hybridations sonores qui n’altèrent pas la tradition, mais la projettent dans la modernité. Les chercheurs en sciences sociales observent d’ailleurs que ces échanges favorisent une urbanité culturelle inclusive, essentielle à l’Agenda 2063 de l’Union africaine.
En saluant les nouveaux dons, la ministre Lydie Pongault a insisté sur la nécessité de « transformer la préservation en locomotive de croissance ». Ses propos font écho aux données de la Banque africaine de développement qui chiffrent le potentiel de l’économie créative à près de cinq pour cent du PIB continental à l’horizon 2030. À l’échelle congolaise, l’inscription de la musique dans les chaînes de valeur industrielles promet des retombées tant en termes d’emplois que d’image de marque, consolidant la position de Brazzaville comme carrefour culturel.
Perspectives d’interactions régionales
Vingt-et-un pays ont déjà enrichi les collections depuis la première édition du Fespam, et les concertations en cours laissent entrevoir l’arrivée prochaine d’artefacts d’Afrique australe. Les alliances se structurent autour d’un protocole de prêt itinérant qui permettra, dès 2026, à certaines pièces de sillonner les capitales régionales, offrant un rayonnement partagé. La démarche s’inspire du modèle du Louvre-Abu Dhabi, adapté aux spécificités africaines.
Pour la République du Congo, ce mécanisme d’itinérance consolide une image de facilitateur. Brazzaville se place ainsi au centre d’une circulation patrimoniale qui dépasse la seule logique du festival : c’est un dialogue intergénérationnel, une invitation à revisiter les récits nationaux par le prisme de la création sonore.
Vers un patrimoine vivant durable
Alors que s’achèvent les accords protocolaires, une évidence se dessine : la musique, en tant que langage universel, constitue un levier de diplomatie préventive. Elle adoucit les divergences, expose les complémentarités et pose les jalons d’une intégration continentale pragmatique. La remise d’instruments au Musée panafricain de la musique ne représente donc pas un simple geste symbolique ; elle s’inscrit dans une stratégie de long terme où patrimoine et développement se nourrissent mutuellement.
À l’issue de cette 12ᵉ édition, les tambours auront résonné bien au-delà des salles de concert : ils auront rappelé que la mémoire culturelle, lorsqu’elle est partagée et protégée, devient un capital d’influence et un facteur de résilience. Et tandis que les lumières du Fespam s’éteindront, l’écho persistant des nouvelles acquisitions continuera de rythmer les ambitions panafricaines depuis Brazzaville.