Ce qu’il faut retenir
Le Sénégal envisage d’imposer un prélèvement de 0,5 % sur chaque transaction mobile money afin de gonfler ses recettes publiques. Cette décision, inscrite dans le plan de redressement 2025-2028, touche un outil utilisé quotidiennement par plus de neuf Sénégalais sur dix.
Contexte budgétaire sous tension
La dette publique a franchi le seuil symbolique des 100 % du PIB, conséquence combinée des chocs pétroliers, de la pandémie et d’investissements d’infrastructures coûteux. Les marges de manœuvre budgétaires se réduisent à vue d’œil, reconnaît le ministère des Finances.
En 2024, les recettes fiscales ont été inférieures de 8 % aux prévisions initiales, malgré l’introduction d’une TVA harmonisée et la lutte accrue contre la contrebande, selon la Direction générale des Impôts.
Pour financer les ports, lignes de bus rapides et la couverture santé, l’État s’est tourné vers les bailleurs internationaux. Ceux-ci conditionnent désormais leurs décaissements à une hausse durable des ressources domestiques.
Le mobile money, colonne vertébrale financière
À la différence des banques, l’ouverture d’un portefeuille mobile ne requiert qu’une pièce d’identité et un téléphone basique. Résultat : 92 % des adultes de plus de quinze ans y recourent pour envoyer un billet, régler une facture ou stocker une petite épargne.
En 2025, le volume des transactions a frôlé 15 300 milliards FCFA, soit 27 milliards USD, d’après la BCEAO. Ce flux représente plus du double du budget national et croît de 18 % par an, porté par l’essor des paiements marchands.
Pour de nombreux vendeurs de rue, le portefeuille digital sert de caisse, de stock et de livre comptable. Taxer chaque mouvement reviendrait à rogner des marges déjà comprimées par l’inflation alimentaire et la concurrence des grandes surfaces.
Cartographie des usages régionaux
Les données géolocalisées de l’ARTP indiquent que la région de Dakar concentre 45 % des volumes, suivie de Thiès et Diourbel. En Casamance, l’essor est plus récent, lié à la diaspora, tandis que le bassin arachidier privilégie encore le cash.
Impact social d’une taxe transactionnelle
Le prélèvement proposé fonctionnerait comme un péage invisible. Un étudiant envoyant 1 000 FCFA à sa sœur paierait cinq francs supplémentaires ; cela semble modique, mais répété vingt fois par mois, le coût ronge un budget d’étudiant, souligne une association de consommateurs.
Contrairement à l’impôt sur les bénéfices, l’assiette ne tient pas compte de la capacité contributive. Plus un ménage est contraint d’étaler ses paiements en micro-transactions, plus il s’expose à des frais cumulés, précise le think tank IPAR.
Les associations féminines redoutent un retour massif au cash, moins traçable et plus risqué. Les revers logistiques pèseraient surtout sur les zones rurales où l’accès aux distributeurs reste limité et le coût du transport élevé.
Leçons venues d’Afrique de l’Est et Centrale
Le Ghana a instauré en 2022 un prélèvement de 1,5 % sur le mobile money. Six mois plus tard, la Banque du Ghana notait une chute de 24 % des volumes et un manque à gagner fiscal estimé à 200 millions USD.
En Ouganda, la taxe initialement fixée à 1 % a été ramenée à 0,5 % après des manifestations populaires et une baisse de 30 % des transactions, montrant l’élasticité forte de l’usage aux coûts supplémentaires.
Les autorités camerounaises ont suivi la même trajectoire en 2022. Après un recul des mouvements électroniques, elles ont décidé d’exonérer les petits transferts inférieurs à 20 000 FCFA, illustrant la recherche d’un compromis entre rendement et inclusion.
Scénarios fiscaux alternatifs
Plusieurs économistes suggèrent d’orienter l’effort vers les marges des opérateurs plutôt que vers l’utilisateur final. Les trois principales sociétés de mobile money ont dégagé plus de 120 milliards FCFA de bénéfice net en 2023, selon leurs rapports annuels.
Une autre option consisterait à élargir la TVA aux plateformes de commerce en ligne encore peu déclarées. Le e-commerce connaît une poussée à deux chiffres, mais reste faiblement contributif faute d’immatriculation systématique des vendeurs.
Enfin, la digitalisation intégrale des paiements publics – taxes de marché, timbre fiscal, amendes routières – pourrait rapporter jusqu’à 200 milliards FCFA supplémentaires par an, d’après une étude conjointe du Trésor et de la Banque mondiale.
Et après ? Les pistes de dialogue
Le ministère des Finances a ouvert, début juin, une consultation avec les opérateurs et les associations d’usagers. L’objectif affiché est de calibrer une mesure qui renforce la base fiscale sans casser la dynamique d’inclusion financière.
Selon des sources proches du dossier, plusieurs scénarios circulent : exonération des micro-transferts, plafonnement journalier du prélèvement, ou différenciation selon la nature de la transaction – sociale, marchande, salariale.
Le gouvernement promet une décision finale dans la loi de finances rectificative de septembre. Les acteurs espèrent un arbitrage équilibré qui préserve à la fois la trajectoire budgétaire et la confiance dans l’argent mobile, devenu un symbole de modernité citoyenne.
Le point éco
Les analystes du marché obligataire soulignent que chaque point de PIB supplémentaire de recettes domestiques pourrait réduire de 0,3 % le coût moyen du service de la dette. La clé est donc de lever l’impôt sans ralentir la vitesse de circulation monétaire.
