Ce qu’il faut retenir
Réunis en Congrès, députés et sénateurs tchadiens ont voté le 3 octobre 2025 une révision constitutionnelle introduisant un mandat présidentiel de sept ans, renouvelable sans limite. Sur 257 élus, 236 ont soutenu le texte, consolidant la majorité du Mouvement patriotique du salut.
Une adoption expresse votée à l’avance
La session, initialement fixée au 13 octobre, a été avancée de dix jours. Plusieurs parlementaires affirment avoir reçu la convocation moins de vingt-quatre heures avant le débat, une accélération que l’opposition interprète comme une façon de couper court à toute mobilisation critique.
Albert Pahimi Padacké, chef du Rassemblement national des démocrates tchadiens-Le Réveil, a quitté l’hémicycle avant le scrutin. « Sur un sujet aussi fondamental, on nous met devant le fait accompli », a-t-il lancé, jugeant le nouveau septennat comme un « verrouillage institutionnel ».
Les arguments du MPS pour la longévité
Côté majorité, le président du groupe MPS souligne que le mandat de sept ans offrira « la visibilité nécessaire aux réformes économiques ». Selon lui, un cycle quinquennal laissait trop peu de marges pour conduire les stratégies d’industrialisation, de sécurité alimentaire et d’intégration régionale.
Le parti rappelle que plusieurs Constitutions africaines proposent déjà des durées similaires, citant le Rwanda ou le Cameroun. Pour un député MPS, « la stabilité institutionnelle n’est pas un luxe au Sahel, elle est la condition du développement et de la lutte contre l’extrémisme ».
Levée de boucliers dans l’opposition
Les 21 élus hostiles au texte dénoncent un « passage en force ». Au-delà de la durée présidentielle, ils redoutent surtout l’absence de plafond sur le nombre de mandats. Pour le constitutionnaliste Kemba Lagaré, « sans clause limitative, la rééligibilité indéfinie affaiblit mécaniquement l’alternance ».
Dans les rues de N’Djamena, quelques rassemblements spontanés ont eu lieu le lendemain du vote. Les forces de sécurité sont restées déployées autour des principales artères. Aucun incident majeur n’a été signalé, mais les organisations citoyennes promettent d’autres actions à l’approche de la promulgation.
Les nouvelles clés de voûte institutionnelles
Outre le septennat présidentiel, la révision porte à six ans le mandat des députés et crée un poste de vice-Premier ministre censé renforcer la coordination gouvernementale. Les membres du cabinet perdent par ailleurs leur immunité pénale, ce qui les expose, selon le texte, « à l’égalité devant la loi ».
Pour le professeur de droit public Djimet Arabi, l’insertion de cette responsabilité judiciaire pourrait rassurer les bailleurs internationaux. « L’obligation de rendre compte est incohérente avec l’impunité », souligne-t-il, estimant que cette ouverture judiciaire complète le renforcement durable de l’exécutif voulu par le MPS.
Contexte régional et regards extérieurs
La réforme intervient au moment où plusieurs pays sahéliens vivent des transitions militaires. À N’Djamena, l’entourage du président Mahamat Idriss Déby insiste sur la nécessité d’apparaître comme un pôle de stabilité. L’Union africaine s’est limitée à « prendre acte », tandis que Paris évoque une « évolution souveraine ».
À Washington, le département d’État surveille les garanties électorales à venir, sans condamner la réforme. Pour International Crisis Group, « le véritable test sera l’organisation d’élections ouvertes et pacifiques ». Des ONG locales réclament déjà un calendrier précis pour la présidentielle de 2026.
Scénarios : quels équilibres à venir ?
Si le texte est promulgué dans les prochaines semaines, Mahamat Idriss Déby pourra se présenter en 2026 pour un premier septennat « plein ». Pour ses partisans, cela l’autoriserait à mener un agenda de modernisation de l’armée et des infrastructures énergétiques, deux axes réaffirmés dans le Plan 2030.
L’opposition mise, elle, sur une stratégie d’alliances afin d’unifier ses candidatures. « Le temps long n’est pas toujours celui du pouvoir », ironise un élu RNDT. Les analystes rappellent toutefois que l’accès aux ressources de l’État confère un avantage décisif en période pré-électorale.
Et après ? les enjeux pour 2026
De la mise en place effective du poste de vice-Premier ministre dépendra l’équilibre entre Présidence et Gouvernement. Observateurs et chancelleries suivront aussi la nomination de la Commission électorale. Sa composition sera scrutée comme un signal de la volonté d’inclusivité vantée par la majorité.
D’ici là, le débat sur la limitation des mandats restera vif dans la société civile. Plusieurs collectifs évoquent l’organisation d’états généraux de la gouvernance. Bousculée, la classe politique tchadienne s’apprête à tester, dans les urnes, l’endurance d’un septennat aussi ambitieux que contesté.
Le point économique
Le secteur pétrolier, qui représente plus de 60 % des recettes nationales, attend du nouveau cycle politique un cadre contractuel stable. Le ministère des Finances espère boucler, avant la fin 2025, un accord avec le FMI incluant des mesures visant à augmenter la part de contenu local.
Les partenaires de la CEMAC surveillent par ailleurs la capacité de N’Djamena à tenir son programme de convergence. Un mandat présidentiel allongé pourrait faciliter la réalisation des grands corridors routiers vers le Cameroun et le Soudan, leviers cruciaux pour fluidifier les échanges intracommunautaires.
Regards de la diaspora
La diaspora tchadienne en Europe juge la réforme contrastée. Des entrepreneurs saluent la prévisibilité institutionnelle, tandis que des associations étudiantes la considèrent comme un recul démocratique susceptible de freiner les retours de compétences.
