Une médiation américaine savamment minutée
La Maison-Blanche n’avait plus accueilli conjointement Félix Tshisekedi et Paul Kagame depuis le sommet États-Unis–Afrique de décembre 2022. En plaçant l’annonce de la signature avant la rencontre bilatérale prévue fin juillet, l’administration américaine redonne de l’oxygène à une diplomatie qu’elle avait laissée vaciller au gré des offensives du M23 et des échanges d’artillerie transfrontaliers. « Il fallait sortir du face-à-face toxique de la région et redonner un cadre », confie un haut responsable du Département d’État. Washington, conscient de sa capacité d’entraînement financier sur les bailleurs multilatéraux, capitalise sur la lassitude d’un conflit qui freine les investissements stratégiques liés aux minerais de transition énergétique.
Architecture sécuritaire : désarmement surveillé et calendrier serré
Le cœur de l’accord repose sur un cessez-le-feu permanent assorti d’un dispositif de vérification conjoint piloté par la MONUSCO, reconfigurée en mission d’appui léger. Kigali accepte, sur le papier, de couper toute « assistance logistique directe ou indirecte » au M23 tandis que Kinshasa s’engage à intégrer, dans un délai de six mois, un contingent trié sur le volet de combattants repentis au sein des FARDC. Selon un diplomate ougandais impliqué, les deux capitales ont entériné la création d’un Comité mixte de sécurité, coprésidé par l’Union africaine et la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs, chargé de publier un rapport mensuel rendu public. L’Union européenne promet un fonds de 120 millions d’euros pour l’encadrement du cantonnement, mais subordonne son décaissement à la transparence des procédures de démobilisation. Dans l’entourage de Félix Tshisekedi, on redoute cependant « un recyclage cosmétique des cadres du M23 », tandis qu’à Kigali l’on s’inquiète de voir la MONUSCO prolonger indéfiniment son mandat.
La dimension humanitaire : déplacés, restitution des terres et justice transitionnelle
Près de 6,9 millions de personnes demeurent déplacées à l’intérieur de la RDC, un record continental. L’accord prévoit la création d’un corridor sécurisé Goma-Rutshuru dans lequel les humanitaires pourront circuler sans escorte militaire. Les terres abandonnées devront être cadastrées sous l’égide conjointe de la Banque mondiale et de la Commission nationale de réforme foncière congolaise. Paul Kagame a, pour la première fois, accepté d’appuyer une « Commission vérité et réparation » destinée aux victimes civiles des deux camps, mécanisme salué par l’ONG Human Rights Watch comme « une avancée, à condition que l’impunité des hauts gradés soit réellement combattue ». Reste à convaincre les communautés hutus et tutsies du Nord-Kivu que la justice transitionnelle ne se transformera pas en tribunal politique.
Le nerf des ressources : coltan, cobalt et promesses de transparence
Les convoitises autour du coltan et du cobalt congolais sont la toile de fond inamovible du conflit. Washington a inscrit la traçabilité des minerais critiques au cœur de l’accord, misant sur un système blockchain développé par une start-up californienne afin de certifier l’origine des cargaisons. Kinshasa obtient le principe d’une redevance additionnelle de 2 % sur les exportations transitant par le Rwanda, tandis que Kigali négocie l’ouverture d’un poste frontière unique numérique accélérant les formalités douanières. « C’est un donnant-donnant qui pourra tenir si la Chine décide de jouer le jeu », résume un analyste londonien des matières premières, rappelant que Pékin contrôle aujourd’hui près de 70 % du raffinage mondial de cobalt.
Réactions régionales et crédibilité de la feuille de route
En coulisse, l’Ouganda affiche un soutien prudent, craignant que la normalisation rwandocongolaise ne marginalise le Corridor nord qu’elle pilote avec Nairobi. Luanda, médiatrice de la première heure, se félicite publiquement du résultat mais insiste sur « la nécessité de traduire l’engagement en actes dès le premier jour ». Les Nations unies, dont le Conseil de sécurité doit avaliser la nouvelle configuration de la MONUSCO, s’interrogent sur le financement pérenne d’un déploiement régional élargi. Pour nombre d’observateurs, la prochaine saison électorale en RDC, dès 2025, constituera le test décisif : la tentation de mobiliser le sentiment national contre le voisin rwandais pourrait ressurgir si les clauses socio-économiques tardent à produire des dividendes visibles.
Entre prudence stratégique et espoir mesuré
La signature américaine offre un instantané de bonne volonté, mais l’histoire récente de la région rappelle la volatilité des pactes écrits loin des collines du Kivu. Les chancelleries saluent l’effort, tout en gardant un œil sur les groupes armés non impliqués dans le processus, des FDLR aux milices locales Maï-Maï. « Ce n’est pas un traité de paix, c’est un cadre de désescalade », prévient un expert onusien. Pour les diplomates aguerris aux méandres des Grands Lacs, la clé résidera autant dans la rapidité de mise en œuvre que dans la capacité des élites rwandaise et congolaise à résister aux sirènes électorales. La paix, dans cette partie du monde, relève avant tout d’un patient travail de couture politique, plus que d’un simple ruban coupé sur le Potomac.