Brazzaville célèbre un binôme historique
Le léger cliquetis du bronze promet déjà de résonner sous la coupole translucide du mémorial Pierre-Savorgnan-de-Brazza. Au terme d’un entretien tenu le 19 juillet, la directrice générale du site, Bélinda Ayessa, et le nouvel ambassadeur du Sénégal à Brazzaville, Ousmane Diop, ont scellé, dans la discrétion propre aux usages diplomatiques, l’idée d’installer le buste du sergent Malamine Camara aux côtés de celui qui, un siècle et demi plus tôt, posa les fondations de la capitale congolaise. L’annonce, sobre mais chargée d’affect, replace au premier plan un tandem souvent cité par les historiens mais rarement célébré avec pareille solennité.
La décision vise à traduire dans le bronze la complémentarité des trajectoires de Pierre Savorgnan-de-Brazza et de son fidèle compagnon sénégalais. Reconnaître l’un sans omettre l’autre revient, selon les propos d’Ousmane Diop, à « resserrer le fil tissé entre Brazzaville, Dakar et, plus largement, l’histoire partagée du continent ». Dans un monde où la mémoire collective demeure un vecteur de puissance douce, la symbolique dépasse la simple ornementation d’un parvis.
Un geste diplomatique à haute portée symbolique
En choisissant de faire de la statuaire un instrument de rapprochement, Dakar et Brazzaville illustrent la vitalité d’une diplomatie culturelle dont les retombées se mesurent autant sur le terrain politique que dans l’imaginaire des peuples. L’ambassadeur sénégalais n’a pas hésité à saluer « la vision du président Denis Sassou Nguesso, artisan de ce haut lieu de mémoire », rappelant que la culture, lorsqu’elle est hissée au rang de priorité présidentielle, devient un langage intelligible pour l’ensemble des chancelleries.
La perspective d’une inauguration conjointe du buste ouvre déjà un calendrier de rencontres bilatérales. Selon des sources diplomatiques à Brazzaville, les ministères de la Culture des deux pays planchent sur un programme associant expositions itinérantes, conférences universitaires et échanges d’archives. L’objectif, non dissimulé, est de consolider un axe sénégalo-congolais où la coopération patrimoniale précède et accompagne les dossiers économiques et sécuritaires.
Malamine Camara, sentinelle de la ville naissante
Né vers 1850 au Sénégal et formé au sein de l’infanterie coloniale française, le sergent Malamine Camara figure, pour bien des spécialistes, parmi les gardiens méconnus de la genèse brazzavilloise. Resté à « Nkuna », futur emplacement de la capitale, il tint tête à Henry Stanley venu sonder la rive droite du fleuve Congo. Cette ferme résistance, documentée par les archives militaires du XIXᵉ siècle, permit d’ancrer la présence française et, partant, de préserver l’embryon de ce qui deviendra Brazzaville.
Sa loyauté à l’égard de Savorgnan-de-Brazza et sa connaissance des parlers locaux favorisèrent l’émergence d’un modus vivendi avec les chefs téké. Ce capital de confiance, patiemment bâti, légitime aujourd’hui l’hommage que le Sénégal et le Congo s’apprêtent à lui rendre. En inscrivant son effigie dans la pierre, les deux États réhabilitent une figure panafricaine, porteuse des valeurs de courage, de loyauté et de médiation.
Renouveau mémoriel voulu par le président Sassou N’Guesso
Le mémorial Pierre-Savorgnan-de-Brazza, inauguré en 2006 sur instruction du chef de l’État congolais, s’inscrit dans une politique de réappropriation des narratifs nationaux. Le projet d’extension, amorcé depuis 2018, prévoit de nouveaux espaces immersifs et un parcours pédagogique destiné aux jeunes générations. L’arrivée du buste de Malamine Camara s’intègre pleinement à cette dynamique de renouvellement muséal.
Le président Denis Sassou Nguesso, régulièrement salué pour son implication personnelle dans la conservation du patrimoine, mise sur une diplomatie du souvenir capable de fédérer les citoyens autour d’un socle historique partagé. À l’heure où les nations africaines redéfinissent leurs récits post-coloniaux, Brazzaville entend démontrer qu’un héritage assumé renforce la cohésion interne tout en raffinant l’image du pays à l’étranger.
Le patrimoine, tremplin du dialogue régional
Au-delà du geste artistique, l’érection du buste répond à une urgence contemporaine : transformer la mémoire en levier de rapprochement intra-africain. Les chancelleries de la sous-région observent avec intérêt cette initiative qui pourrait inspirer d’autres coopérations axées sur les sites historiques partagés. À l’orée du Sommet africain sur la culture et les arts, prévu l’an prochain, le Congo offre un cas d’école de diplomatie patrimoniale.
La valorisation conjointe du sergent sénégalais et de l’explorateur franco-italien traduit, enfin, l’ambition d’un récit pluriel où la contribution des Africains ne se résume pas à un simple auxiliaire de la colonisation. Par ce choix, Brazzaville et Dakar rappellent que l’histoire, lorsqu’elle est racontée dans sa globalité, constitue un socle indispensable à la paix et à la coopération. Le crépitement attendu des flashs lors de l’inauguration ne sera alors qu’un écho moderne à la veille silencieuse du sergent Camara sur les berges du fleuve Congo.