Paris salue une conservation qui porte ses fruits
Réunis à Paris pour leur 47e session, les membres du Comité du patrimoine mondial ont offert au continent africain un rare moment de consensus diplomatique : cinq inscriptions nouvelles et, fait tout aussi notable, la sortie de trois sites d’une liste que les experts décrivent souvent comme « le purgatoire des trésors en sursis ». Ce rééquilibrage témoigne d’un changement d’approche : l’évaluation de la valeur universelle exceptionnelle ne se limite plus au bâti ou à la biodiversité, elle englobe dorénavant la résilience des communautés et la solidité des plans de gouvernance.
« La préservation n’est plus un exercice défensif, elle devient une économie d’avenir », a souligné la directrice générale Audrey Azoulay en séance plénière (UNESCO, 2023). À l’appui de cette affirmation, les délégations ont détaillé les gains en revenus touristiques, en emplois spécialisés ou en crédits-carbone déjà générés par les programmes pilotes sur le terrain.
Des sauvetages emblématiques de la résilience africaine
L’Atsinanana, forêt ombrophile de Madagascar inscrite « en péril » en 2010, s’est vue décerner un satisfecit après la restauration de 63 % de ses superficies dégradées et une chute drastique du braconnage de lémuriens, grâce à un couplage inédit entre surveillance satellitaire et patrouilles communautaires. En Égypte, l’ensemble paléochrétien d’Abu Mena a surmonté la menace des remontées phréatiques par un ingénieux système de poches drainantes, fruit d’un dialogue entre hydrologues et conservateurs locaux.
Plus au nord, la vieille ville de Ghadamès, perle du désert libyen, a montré que la restauration post-conflit pouvait se nourrir des savoir-faire vernaculaires : pisé renforcé à la fibre de palmier, enduits à base de chaux et d’argile fine, et surtout un retour à la gouvernance tribale partagée qui garantit la pérennité des opérations. Ces trois cas rappellent que la stabilisation post-crise passe souvent par la culture, vecteur de cohésion sociale et de re-légitimation de l’autorité publique.
Nouvelles inscriptions : l’alliance du vivant et du culturel
Les cinq nouveaux sites africains illustrent la maturité d’un paradigme intégratif où la nature, la cosmologie et l’économie circulaire dialoguent. Au Cameroun, le paysage culturel Diy-Gid-Biy des monts Mandara combine seize stations archéologiques, des terrasses agricoles millénaires et les rites agraires du peuple Mafa, créant un laboratoire à ciel ouvert sur l’adaptation des sociétés montagnardes au changement climatique.
Au Malawi, le mont Mulanje est reconnu autant pour ses essences endémiques que pour la dimension sacrée qu’y attachent Yao, Mang’anja et Lhomwe ; le classement réaffirme le rôle des chefferies traditionnelles dans la gestion forestière. La Sierra Leone obtient, avec le complexe Gola-Tiwai, une vitrine pour l’économie verte : crédits REDD+, écotourisme scientifique et bourses doctorales forment déjà un écosystème financier embryonnaire.
Coopération transfrontalière au service de la biodiversité
L’extension conjointe du parc iSimangaliso-Maputo, portée par Maputo et Pretoria, confirme que la diplomatie écologique peut précéder la diplomatie traditionnelle. Sur 397 471 hectares, mangroves, forêts littorales et herbiers sous-marins seront cogérés par deux agences nationales et un secrétariat scientifique binational. Les bailleurs saluent un montage inspiré du modèle trinational de la Sangha, déjà piloté avec succès par le Congo-Brazzaville, le Cameroun et la République centrafricaine.
Quant à l’archipel des Bijagós, en Guinée-Bissau, son inscription vient consacrer une gouvernance insulaire matriarcale qui protège 870 000 oiseaux migrateurs et la plus vaste nurserie de tortues vertes de l’Atlantique oriental. Les experts pointent l’effet d’entraînement attendu sur les couloirs marins du golfe de Guinée, où Brazzaville a déjà engagé des patrouilles conjointes pour sécuriser la pêche artisanale.
Patrimoine et géo-économie : l’Afrique place ses pions
Au-delà du prestige symbolique, l’entrée sur la Liste du patrimoine mondial débloque des mécanismes financiers et assure une visibilité que les chancelleries traduisent en soft power. Les calculs présentés en marge de la session évaluent à 12 % la croissance annuelle anticipée de l’écotourisme dans les zones concernées, avec un accent mis sur la formation locale – guides, artisans, ingénieurs en restauration – et un flux de chercheurs internationaux qui stimule les villes universitaires régionales.
La République du Congo, déjà co-gestionnaire du site transfrontalier Sangha, suit de près ces évolutions. À Brazzaville, le ministère de la Coopération internationale prépare un dossier visant la valorisation des traditions orales des peuples du Pool, preuve que le pays entend convertir son capital immatériel en atout diplomatique. Un haut fonctionnaire confiait en coulisses que « les succès malgaches ou bissau-guinéens démontrent qu’un patrimoine bien géré devient un argument de négociation autant qu’un levier de développement ».
Regards d’avenir sur la gouvernance patrimoniale
La session parisienne aura rappelé que la sauvegarde du patrimoine africain ne se joue plus dans un tête-à-tête avec l’UNESCO, mais dans un triangle qui associe collectivités, investisseurs éthiques et diplomaties nationales. Les initiatives saluées cette année s’appuient sur des financements hybrides : fonds multilatéraux, mécanismes climatiques, mais aussi plateformes communautaires de micro-mécénat. La lente maturation juridique des dispositifs de propriété intellectuelle autochtone – notamment pour les savoirs pharmacopées – laisse entrevoir de nouvelles sources de revenus.
En dernière analyse, les délibérations ont validé une équation simple : plus un site est géré de manière inclusive, plus il devient résilient face aux pressions extractives ou aux aléas climatiques. En d’autres termes, la protection du patrimoine devient un test grandeur nature pour la gouvernance démocratique – un terrain où nombreux États, à l’instar du Congo-Brazzaville, misent sur la stabilité politique pour attirer partenariats et expertises.
Le rendez-vous est donc pris pour la 48e session, annoncée à Delhi, où plusieurs dossiers africains sont déjà en lice. D’ici là, les cinq nouveaux lauréats devront prouver que l’écrin onusien ne se résume pas à une plaque commémorative, mais s’incarne dans des bilans chiffrés et des bénéfices partagés. L’avenir du patrimoine est désormais indissociable d’une diplomatie du résultat.
