Ce qu’il faut retenir
Réunis le 2 décembre à Brazzaville, onze pays d’Afrique centrale ont adopté une feuille de route ambitieuse pour anticiper épidémies et crises sanitaires. L’initiative portée par Africa CDC renforce la surveillance transfrontalière, encourage les financements domestiques et clarifie le partage de données sensibles.
Le passage de relais entre le Congo et le Tchad à la tête du comité de pilotage traduit la volonté politique d’ancrer cette architecture régionale dans la durée, afin d’accroître la résilience collective face aux menaces toujours présentes d’Ebola, de Covid-19 ou de fièvres hémorragiques.
Contexte régional des alertes sanitaires
Depuis dix ans, la sous-région cumule flambées d’Ebola, rougeole, poliovirus dérivé et poussées régulières de paludisme résistant. Les flux commerciaux et humanitaires sur les corridors Pointe-Noire-Douala ou Bangui-N’Djamena facilitent la propagation, rendant essentiel un mécanisme concerté de détection précoce et de ripostes coordonnées.
La réunion de Brazzaville intervient alors que l’OMS, basée à quelques kilomètres, appelle à maintenir un financement de vigilance malgré l’accalmie pandémique. Pour le Dr Brice Bicaba, sans consolidation institutionnelle, chaque frontière poreuse pourrait redevenir « un risque d’exportation à l’échelle continentale ».
Nouvelle gouvernance africaine de la santé
Africa CDC, agence de l’Union africaine, a installé à Libreville, Douala et Addis-Abeba ses hubs, mais la cellule de Brazzaville pilote désormais l’Afrique centrale. Ce centre vise à harmoniser protocoles, former les épidémiologistes et appuyer les ministères afin d’éviter la dispersion des ressources.
Le Pr Jean Rosaire Ibara, ministre congolais de la Santé, insiste sur la « souveraineté sanitaire », concept promu par l’Union africaine depuis la crise Covid-19. Il rappelle que l’alerte doit d’abord être traitée localement pour gagner en rapidité, avant d’être relayée vers les partenaires internationaux.
Financements domestiques innovants
Longtemps dépendante de bailleurs extérieurs, l’Afrique centrale veut à présent mobiliser ses propres budgets, complétés par des taxes de solidarité ou des obligations durables. Les ministres ont examiné l’exemple rwandais du « sin tax » sur les boissons sucrées pour alimenter le fonds national de santé.
Selon le Dr Bicaba, un relèvement progressif de 15 % des lignes budgétaires santé permettrait d’absorber les chocs épidémiques sans obérer les dépenses courantes. Il annonce un tableau de bord régional public qui suivra, chaque trimestre, la part réelle de financement domestique allouée aux urgences à moyen terme.
Transport d’échantillons et partage de données
Le retard de diagnostic demeure un talon d’Achille. Une stratégie commune de transport d’échantillons sous chaîne du froid a été validée, entre laboratoires de référence de Yaoundé, Kinshasa et Brazzaville. Des couloirs aériens dédiés sont envisagés pour réduire à vingt-quatre heures le temps d’acheminement.
Parallèlement, un accord juridiquement contraignant de partage d’informations épidémiologiques sera soumis aux Parlements nationaux. Africa CDC pilotera un serveur régional hébergé au Congo, garantissant confidentialité et traçabilité. « Sans data, nous avançons à l’aveugle », a résumé le représentant du directeur général, le Pr Yap Boum II.
Cap sur la production locale de médicaments
L’autre pilier de souveraineté concerne la fabrication de vaccins, kits PCR et médicaments essentiels. Africa CDC ambitionne 60 % de production made in Africa d’ici 2040. Les États d’Afrique centrale, dotés de zones économiques spéciales, souhaitent attirer des laboratoires grâce à des incitations fiscales ciblées.
Le ministre congolais cite l’exemple de la nouvelle unité de perfusions installée à Kintélé, capable de couvrir 40 % des besoins nationaux. « Nous devons transformer nos débouchés publics en marchés garantis pour les investisseurs », insiste-t-il, plaidant pour des clauses d’achats anticipés régionales.
Tchad prend la présidence du comité
Après deux ans à la barre, le Congo a remis officiellement le flambeau au Tchad. L’ambassadeur Abdel-Kerim Ahamadaye Bakhit promet d’être « facilitateur et catalyseur » pour que chaque action inscrite sur la feuille de route dispose d’indicateurs précis et d’un budget sécurisé.
Il a souligné la nécessité d’une contribution financière graduée selon la taille des économies, évitant la tentation du passager clandestin. De son côté, Brazzaville continuera à abriter le secrétariat régional, garantissant la mémoire institutionnelle et la coordination technique, un atout salué par les participants.
Et après ?
Les États ont listé quinze actions prioritaires pour 2024, dont l’achèvement d’un stock régional de contre-mesures médicales pré-positionnées à Douala. Cette base, couplée à un entrepôt virtuel, doit réduire les délais d’acheminement de kits de protection personnelle et antivenimeux à moins de 72 heures.
Un exercice grandeur nature, simulant l’apparition d’un virus respiratoire inconnu dans la Sangha, est programmé pour le troisième trimestre. Les laboratoires, frontières et médias seront évalués en temps réel. Les résultats orienteront la mise à jour du plan régional d’opérations d’urgence.
En conclusion des travaux, les délégués ont convenu de se retrouver à N’Djamena en 2024 pour vérifier les progrès. L’esprit affiché à Brazzaville rappelle que, face aux virus, la frontière la plus sûre demeure la coopération renforcée, et une mobilisation de la société civile, adossée à une volonté politique claire.
