Une onde de choc consulaire à Yaoundé
Le 17 mai, l’appareil diplomatique camerounais a été brusquement rappelé à la réalité des dérives endémiques qui menacent l’intégrité des services consulaires. Nicolas Mbella, fils du ministre des Relations extérieures Lejeune Mbella Mbella, a été conduit à la prison centrale de Kondengui aux côtés du commissaire divisionnaire Serge Ayissi. Selon plusieurs officiels proches du dossier, les deux hommes sont soupçonnés d’avoir orchestré un réseau de délivrance frauduleuse de visas Schengen, moyennant le versement de sommes qui auraient transité par des comptes privés. À Yaoundé, la décision d’incarcération a retenti comme un coup de semonce, rappelant que la lutte contre la corruption ne s’arrête pas aux frontières des chancelleries.
Le casse-tête des visas en Afrique centrale
La densification des mouvements migratoires et l’essor des diasporas africaines ont fait des visas un objet hautement sensible, tant sur le plan sécuritaire qu’économique. Les intermédiaires informels prospèrent sur la lenteur administrative, tandis que les diplomates peinent à contenir la pression sociale qui les exhorte à distribuer le précieux sésame. Le scandale camerounais ravive les souvenirs d’affaires similaires au Gabon ou en République démocratique du Congo, où le détournement de documents de voyage avait compromis la confiance des partenaires européens. « Lorsque la chaîne de vérification se fragilise, c’est toute la respectabilité d’un État qui vacille », observe un expert de l’Union africaine.
La doctrine Sassou Nguesso de la transparence consulaire
À Brazzaville, l’écho de l’arrestation camerounaise est accueilli avec gravité mais sans alarmisme. Conscient que la diplomatie est aussi jugée à l’aune de la probité de ses services, le président Denis Sassou Nguesso a fait de la modernisation consulaire un pilier de sa politique extérieure. Depuis 2022, un système biométrique unifié permet le suivi en temps réel des demandes de visas et limite l’intervention humaine aux étapes strictement nécessaires. Trois audits internes conduits par l’Inspection générale des finances ont déjà abouti à des suspensions disciplinaires, gage d’une tolérance zéro à l’endroit des pratiques déviantes. « La crédibilité du Congo vaut plus que les commissions occultes », confie un haut fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères.
Diplomatie préventive et partenariats techniques
Soucieuses d’éviter l’effet domino, les autorités congolaises ont inscrit la question des visas dans un dispositif plus large de gouvernance numérique. Un partenariat avec Interpol facilite le croisement instantané de données sur les personnes recherchées, tandis qu’un protocole signé avec la France prévoit un partage d’informations sécurisé concernant les faux documents détectés. Brazzaville, qui accueille un nombre croissant d’investisseurs asiatiques, s’emploie également à harmoniser ses procédures avec celles de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale, afin d’assainir un marché migratoire souvent fragmenté. Cette approche préventive est saluée à Bruxelles, où la Commission européenne voit dans le Congo un « acteur coopératif essentiel à la stabilité régionale ».
Vers une reconfiguration des standards régionaux
L’affaire Mbella constitue un rappel brutal : la lutte contre les trafics de visas exige une coordination qui dépasse les réactions ponctuelles. Des discussions exploratoires sont en cours pour la mise en place d’une plateforme judiciaire partagée entre Yaoundé, Brazzaville et Libreville. Inspiré du modèle ouest-africain G5 Sahel, cet outil viserait à partager les bases de données relatives aux réseaux transfrontaliers et à déployer des équipes d’enquêteurs mixtes. Si le projet voit le jour, il consacrera un saut qualitatif dans la coopération sous-régionale et confortera la stratégie de « sécurité juridique » prônée par le Congo.
Regards croisés d’une communauté internationale attentive
Au-delà du choc initial, la communauté diplomatique observe avec intérêt la réponse congolaise au risque de contagion. Les chancelleries occidentales établies à Brazzaville louent déjà le portail électronique e-Visa mis en service en janvier, qui réduit la marge de manœuvre des intermédiaires. L’Union africaine, pour sa part, envisage un mécanisme de suivi continental inspiré du score anticorruption de la Banque africaine de développement. Entre la fermeté camerounaise, contrainte par l’urgence judiciaire, et la prévention congolaise, volontariste et structurée, se dessine une cartographie nuancée des réformes possibles. Dans un environnement géopolitique où l’image d’un État se construit autant dans les salles de négociation que dans les files d’attente consulaires, Brazzaville sait qu’elle joue gros : l’attraction des investissements et la mobilité des talents en dépendent.
En Afrique centrale, l’heure n’est plus à l’indignation solitaire, mais à l’ingénierie institutionnelle partagée. Le sort judiciaire du fils Mbella sera scruté comme un test de la capacité camerounaise à tirer les leçons du scandale. Le Congo-Brazzaville, de son côté, entend démontrer qu’une politique de prévention rigoureuse peut conférer un avantage comparatif sur l’échiquier diplomatique continental. Sans triomphalisme, mais avec la tranquille assurance de ceux qui savent que la confiance, dans le monde des visas, reste la première monnaie d’échange.