Une réalité qui intrigue les citadins
Aux carrefours de Brazzaville et de Pointe-Noire, l’œil attentif du piéton remarque de plus en plus de voitures dépourvues de plaques d’immatriculation, ou affublées de caractères effacés. Le phénomène intrigue, d’autant qu’il contrevient au code de la route congolais, révisé en 2018.
Les autorités rappellent que la simple absence d’identification peut entraîner une immobilisation immédiate du véhicule et une amende équivalant au double du salaire minimum interprofessionnel garanti, mesure confirmée par la Direction générale des transports terrestres lors d’un point presse en mars dernier.
Pourtant, au-delà des textes, le phénomène s’est banalisé et nourrit les conversations dans les salons diplomatiques, où l’on s’interroge sur ses implications sécuritaires et sur la capacité de réaction d’un État déjà mobilisé sur plusieurs fronts stratégiques.
Enjeux sécuritaires et perception publique
Les spécialistes de la sûreté estiment que les plaques constituent la première barrière dissuasive contre les actes de délinquance. Le colonel Jean-Baptiste Okou, responsable de la sécurité routière, rappelle que “l’opacité d’un véhicule complique tout travail de traçabilité après un méfait”.
Les réseaux sociaux relaient des témoignages de braquages ou de kidnappings opérés par des individus circulant à bord de pick-up sans immatriculation. Toutefois, aucune statistique officielle ne démontre un lien systématique, nuance le criminologue Jules Moutou, qui appelle à la prudence méthodologique.
Dans les quartiers sud de Brazzaville, certains habitants admettent éviter les taxis non identifiés après la tombée de la nuit. Cette modification des habitudes de mobilité reste marginale, mais elle traduit une perception d’insécurité qui, selon l’Observatoire congolais de l’opinion, mérite un suivi constant.
Mesures gouvernementales et cadre légal
Face aux inquiétudes, le gouvernement a réaffirmé sa détermination à appliquer rigoureusement la loi. Le ministre des Transports, Honoré Sayi, a annoncé début juillet l’intensification des contrôles aux sorties des ponts et sur le corridor Pointe-Noire-Brazzaville, axe stratégique pour le commerce sous-régional.
Un arrêté interministériel, entré en vigueur le 1er août, fixe désormais un délai de trente jours pour immatriculer tout véhicule importé, contre soixante auparavant. Les services douaniers disposent d’un accès direct à la base de données de la police routière afin de croiser les informations.
Les unités mixtes police-gendarmerie, déployées depuis 2021 dans le cadre de l’opération Mbata-Nsiko, effectuent des patrouilles nocturnes ciblées. Selon le commandement, quatre-vingt-dix véhicules non conformes ont été immobilisés au cours du second trimestre 2023, un chiffre en hausse de 12 % sur un an.
Modernisation de l’immatriculation
Parallèlement, l’Agence nationale des titres sécurisés finalise un système d’immatriculation numérique inspiré des modèles rwandais et marocain. Chaque plaque recevra un code QR inviolable, permettant aux forces de l’ordre de vérifier en temps réel l’identité du propriétaire via tablette sécurisée.
La phase pilote, prévue au quatrième trimestre, concernera d’abord les administrations et une flotte de taxis urbains. D’ici 2025, l’objectif est de couvrir 80 % du parc roulant national, ce qui réduirait selon le ministère “la marge de manœuvre des réseaux criminels et des fraudeurs fiscaux”.
Les bailleurs internationaux observent avec intérêt le projet, susceptible de renforcer la transparence dans le recouvrement des taxes routières. La Banque africaine de développement envisage un appui technique, conditionné à l’intégration d’une composante de formation continue pour les agents de contrôle.
Co-responsabilité et perspectives
Si l’action des pouvoirs publics est cruciale, le sociologue Auguste Dombe souligne la part de responsabilité des usagers. Pour lui, “le civisme routier commence par le refus d’acheter un véhicule non enregistré”. Il préconise des campagnes pédagogiques relayées dans les marchés automobiles informels.
De son côté, la société civile propose d’étendre les numéros verts déjà utilisés pour signaler les comportements à risque. Un dispositif d’alerte en ligne, piloté par l’Agence de régulation des postes et des communications, viendrait compléter les contrôles physiques aux barrages.
Les concessions automobiles estiment que la réforme pourrait stimuler les ventes de véhicules neufs, gages de traçabilité. Même raisonnement dans l’assurance, où l’on s’attend à un élargissement de l’assiette clientèle, aujourd’hui limitée à environ 30 % du parc, selon la Fédération congolaise des assureurs.
À court terme, le défi restera d’aménager un calendrier réaliste, à la fois pour les importateurs, les services techniques et les conducteurs éloignés des centres administratifs. Dans le Pool ou la Sangha, l’accès au guichet unique mobile constituera un test logistique déterminant.
Les observateurs conviennent toutefois que la dynamique actuelle illustre la volonté de modernisation affichée par le président Denis Sassou Nguesso depuis l’adoption du Plan national de développement 2022-2026, lequel mise sur la numérisation des services publics pour consolider l’attractivité du pays.
Au-delà de la plaque métallique, c’est donc la crédibilité institutionnelle qui se joue. En conjuguant fermeté réglementaire, innovation technologique et responsabilité citoyenne, le Congo-Brazzaville espère tracer une voie équilibrée entre fluidité du trafic et sécurité, enjeux indissociables d’une diplomatie économique tournée vers l’intégration régionale.