Le rendez-vous continental à haute valeur symbolique
En se tenant une seconde fois consécutive au Maroc, la Coupe d’Afrique des Nations féminine 2024 transcende l’aspect purement sportif pour s’ériger en vitrine diplomatique du continent. Au-delà de la recherche d’un trophée, la Wafcon illustre la montée en puissance des politiques nationales de promotion du sport féminin, souvent soutenues par les chancelleries, les organismes de coopération et les sponsors globaux. La présence d’actrices majeures évoluant désormais en Europe, aux États-Unis ou au Moyen-Orient confère à l’événement un retentissement stratégique, chaque sélection cherchant à projeter une image rénovée de son soft power.
Asisat Oshoala, l’icône nigériane au service de la reconquête
À trente ans, l’ancienne goleadora du FC Barcelone aborde sa sixième phase finale dans une posture d’ambassadrice chevronnée. Transférée au Bay FC en NWSL, Oshoala a troqué la cadence prolifique de la Liga F pour la compétitivité nord-américaine, sans perdre l’aura propre aux sextuples Ballons d’or africains (selon la Confédération africaine de football). Malgré une blessure qui l’avait sortie du tournoi en 2022, la capitaine des Super Falcons conserve un sens implacable de la profondeur et un leadership contagieux, deux qualités que la Fédération nigériane compte mobiliser pour reprendre un titre laissé à l’Afrique du Sud.
Clara Luvanga, la promesse tanzanienne façonnée à Riyad
Sacrifiée sur l’autel de la discrétion médiatique, la Tanzanie mise sur la verve offensive de Clara Luvanga pour bouleverser la hiérarchie. Double championne avec Al-Nassr, la native de Dar es-Salaam, vingt ans seulement, revendique déjà dix-neuf buts en championnat saoudien. Formée dans un environnement où côtoient Cristiano Ronaldo et Sadio Mané, elle a affûté accélération et sens du placement. Ses prestations amicales durant la préparation – ponctuées par plusieurs doublés – attestent d’un potentiel pouvant dérouter les défenseures les plus aguerries.
Sanaa Mssoudy, catalyseur technique des Lionnes de l’Atlas
Récompensée meilleure joueuse de la Ligue des champions féminine africaine 2024, l’attaquante de l’AS FAR incarne la réussite du programme lancé par Rabat pour professionnaliser son football. À vingt-cinq ans, Mssoudy a porté son club vers un douzième sacre national, illustrant une faculté rare à déstabiliser les blocs bas par sa conduite de balle serrée. Sa demi-finale 2022 demeure dans les mémoires : but décisif, vision tridimensionnelle, capacité à absorber la pression du public. Cette année, la Marocaine vise une première couronne continentale et pourrait, par ricochet, renforcer l’attractivité de la Botola féminine auprès des investisseurs.
Jermaine Seoposenwe, la longévité offensive des Banyana Banyana
Plus de cent sélections en quatorze ans de carrière internationale confèrent à Jermaine Seoposenwe une autorité naturelle dans le vestiaire sud-africain. L’attaquante de Monterrey, âgée de trente-et-un ans, a annoncé que la Wafcon 2024 marquerait son ultime campagne sous le maillot national. L’absence de Thembi Kgatlana pour raisons personnelles accroît la responsabilité de la Capetonienne, dont la science des déplacements entre les lignes mexicaines a séduit les analystes de la Liga MX Femenil. Si l’Afrique du Sud ambitionne de conserver son sceptre, la lucidité de Seoposenwe dans les trente derniers mètres sera un baromètre.
Son choix de terminer son parcours international sur le sol marocain relève d’un symbolisme assumé : offrir la passation de témoin à une génération formée après la victoire historique de 2022, tout en consolidant la perception d’une nation désormais installée parmi les puissances du football féminin mondial.
Aïssata Traoré, l’argument malien pour renouer avec le dernier carré
Le Mali revient dans le grand concert continental après six ans d’absence, propulsé par les quatre réalisations d’Aïssata Traoré durant les qualifications. Neuvième buteuse de la D1 française sous les couleurs de Fleury 91 en 2025, la joueuse de vingt-sept ans compose avec Agueicha Diarra un duo offensif à haute densité physique. Sa performance en 2018, ponctuée d’une quatrième place inédite, a laissé entrevoir une maturité tactique que le nouveau sélectionneur par intérim souhaite ériger en modèle pour des coéquipières essentiellement issues des académies locales. La conquête d’un ticket pour les demi-finales aurait une portée politique certaine, à l’heure où Bamako œuvre à rehausser son image multilatérale par la culture et le sport.
Barbra Banda, la statistique zambienne devenue phénomène global
Meilleure buteuse africaine de l’histoire des Jeux olympiques, toutes catégories confondues, Barbra Banda abat les records avec la régularité d’un métronome. Son transfert à l’Orlando Pride pour 740 000 dollars la place derrière Racheal Kundananji dans la hiérarchie des footballeuses africaines les plus onéreuses. À vingt-cinq ans, la capitaine des Copper Queens arrive au Maroc après avoir offert, d’une tête puissante, le titre NWSL à sa nouvelle franchise (1-0 en finale).
Paradoxalement, son compteur Wafcon demeure vierge, conséquence d’une exclusion rocambolesque en 2022 liée aux règlements d’éligibilité. Le dossier a depuis été clarifié et la Fédération zambienne considère Banda comme l’ambassadrice idéale pour consolider la diplomatie sportive du pays. Sa capacité à transformer un demi-espace en occasion nette pourrait faire basculer un quart de finale et, par extension, les investissements futurs dans le football féminin en Afrique australe.
Au-delà du palmarès, un révélateur d’influences continentales
En agrégeant la trajectoire de ces six attaquantes, la Wafcon 2024 s’affirme comme une scène d’observation privilégiée des équilibres géopolitiques africains. Les fédérations qui ont investi dans l’expertise technique, l’infrastructure et la formation voient déjà un retour sur image, sinon sur investissement. Chacune de ces joueuses porte l’histoire récente de réformes gouvernementales, d’initiatives privées ou de partenariats internationaux orientés vers l’égalité d’accès aux pratiques sportives.
Le tournoi, dans sa dimension médiatique accrue, permettra également d’évaluer la capacité des instances africaines à organiser des compétitions de haut niveau conformes aux standards internationaux, point souvent scruté par les bailleurs de fonds multilatéraux. À Rabat, l’enjeu se situe autant sur le rectangle vert que dans la gouvernance qui l’entoure, preuve que le football féminin est devenu une composante essentielle de la diplomatie d’influence africaine.