Un paraphage sous le regard de la Maison-Blanche
Le vendredi 14 juin, la capitale fédérale américaine a servi de théâtre à un rare rapprochement entre Kigali et Kinshasa. Dans la salle Benjamin Franklin du département d’État, les ministres étrangers Vincent Biruta et Christophe Lutundula ont signé un texte présenté comme le socle d’une désescalade durable dans l’Est de la République démocratique du Congo. En présence du secrétaire d’État Marco Rubio et, plus tard, du président des États-Unis, la scène a illustré la volonté de Washington de réaffirmer sa capacité de médiation sur le continent africain. Le chef de l’exécutif américain, prompt à souligner le caractère « historique » du geste, y voit l’aboutissement d’un lobbying diplomatique amorcé dès 2022, lors du regain d’activité du mouvement rebelle M23.
Une architecture sécuritaire encore à préciser
Le texte consacre « le respect de l’intégrité territoriale » et « la renonciation à toute hostilité », ainsi que le désarmement des groupes armés non étatiques. Rien, toutefois, ne détaille la mécanique de vérification ni le calendrier des retraits éventuels. Kigali, qui conteste toute implication directe auprès du M23, insiste sur l’éradication préalable des Forces démocratiques de libération du Rwanda, tandis que Kinshasa juge indispensable la neutralisation des lignes d’approvisionnement des rebelles dans les collines du Nord-Kivu. La Mission de l’ONU (MONUSCO), appelée à se retirer progressivement, n’a pas été formellement associée au dispositif. Des diplomates européens évoquent dès lors un « vide capacitaire » qu’il faudra combler par une force d’observation conjointe ou un mandat régional renforcé.
Le soubassement économique : cobalt, lithium et concurrence stratégique
Au-delà de la sécurité, l’accord ouvre un chantier d’« intégration économique régionale ». Sont en ligne de mire les gisements congolais de cobalt, de cuivre et de lithium, réputés indispensables à la transition énergétique mondiale. L’administration américaine, soucieuse de réduire l’exposition des chaînes d’approvisionnement aux hubs chinois, voit dans la paix une condition préalable à des investissements directs plus ambitieux. Des émissaires de multinationales extractives, présents en marge de la signature, ont salué la « clarification réglementaire attendue ». Des voix congolaises alertent toutefois sur le risque d’une paix conditionnée à des concessions minières trop avantageuses pour les entreprises étrangères, au détriment de la valeur ajoutée locale.
Qatar et réseaux d’affaires : des facilitateurs discrets
Le document final mentionne avec parcimonie le rôle de Doha, pivot fréquent de la diplomatie américaine dans la région. Selon plusieurs sources proches du dossier, le Qatar a mis à disposition ses canaux avec le Rwanda pour fluidifier la rédaction de la clause humanitaire. Autre médiateur inattendu : l’homme d’affaires américano-libanais Massad Boulos, propulsé conseiller spécial du président sur les questions africaines. Son implication nourrit un débat sur la collusion possible entre diplomatie d’État et intérêts privés, d’autant que ses activités dans le négoce de minerais sont documentées. Interrogé, l’intéressé affirme n’avoir œuvré qu’à « créer un espace de confiance » entre deux capitales en défiance depuis plus d’une décennie.
L’accueil prudent des chancelleries africaines
À Brazzaville, à Luanda comme à Addis-Abeba, la réaction est empreinte d’un optimisme mesuré. Le président de la Commission de l’Union africaine, Moussa Faki Mahamat, a salué « une initiative susceptible de redéfinir les dynamiques régionales », tout en rappelant que seule une « mise en œuvre inclusive » permettra de juguler la circulation illicite des armes. Les autorités de la République du Congo, médiatrices ponctuelles des dossiers centrafricain et tchadien, voient dans l’accord un signal positif pour la stabilité de la sous-région Congo-Oubangui. Elles n’en demeurent pas moins attachées à la nécessité de solutions purement africaines, complémentaires à l’appui extérieur.
Voix critiques et quête de transparence
Le prix Nobel de la paix 2018, le Dr Denis Mukwege, a rapidement exprimé des réserves, estimant que la composante économique pouvait « récompenser l’agresseur » et reléguer la justice pour les victimes au second plan. Des organisations congolaises de la société civile craignent que l’accord n’entérine un statu quo favorable à la poursuite des activités de contrebande. À Kigali, l’opposition intérieure souligne l’absence de mécanisme clair contre l’exploitation du discours sécuritaire pour justifier des interventions au-delà des frontières. Les signataires réfutent ces critiques, martelant que la commission mixte de suivi, dotée d’une représentation paritaire et d’experts indépendants, garantira la traçabilité des engagements.
Calendrier post-signature et faisabilité opérationnelle
D’ici à la fin de l’année, un sommet élargi devrait réunir à Washington les présidents Paul Kagame et Félix Tshisekedi pour confirmer les étapes de démobilisation et lancer un fonds d’infrastructures transfrontalières. Selon nos informations, un comité d’experts piloté par la Banque mondiale planche déjà sur le financement d’un corridor routier Goma-Gisenyi visant à fluidifier la circulation légale des minerais. Sur le terrain, la situation demeure volatile, particulièrement dans le Rutshuru où le M23 conserve des positions stratégiques. Pour l’heure, l’accord prévoit une première évaluation sécuritaire au bout de quatre-vingt-dix jours. La crédibilité de l’ensemble dépendra moins de la rhétorique solennelle que de la capacité des parties à interrompre l’afflux d’armes, à réintégrer les combattants et à offrir des dividendes tangibles aux populations.
Vers une paix durable ? Les incertitudes d’un modus vivendi
En scellant leur entente à Washington, Kigali et Kinshasa rappellent qu’aucune crise régionale n’échappe désormais aux interdépendances globales : marchés des batteries électriques, cycles électoraux africains, recompositions stratégiques provoquées par la rivalité sino-américaine. La diplomatie congolaise obtient une reconnaissance claire de sa souveraineté, tandis que le Rwanda sécurise un cadre de coopération susceptible de valoriser son positionnement logistique. Reste un défi majeur : transformer la promesse écrite en réalité tangible sur le sol congolais, là où les populations n’ont guère le luxe d’attendre des dividendes différés. À l’heure où s’esquisse une nouvelle cartographie des partenariats africains, l’accord de Washington se pose comme un test grandeur nature de la diplomatie multilatérale alliée aux impératifs de développement durable.