Washington, théâtre d’une chorégraphie diplomatique à forte visibilité
Le 27 juin 2025, la capitale fédérale américaine a servi de décor à une mise en scène soigneusement calibrée. Sous l’œil des caméras mondiales, le Secrétaire d’État Marco Rubio, flanqué du président Donald Trump, a supervisé la signature d’un accord que Kinshasa et Kigali présentaient comme le pivot d’une « nouvelle ère ». Thérèse Kayikwamba Wagner, cheffe de la diplomatie congolaise, et Olivier Nduhungirehe, son homologue rwandais, ont paraphé un document que Washington qualifie déjà de « modèle reproductible » pour les régions post-conflit. En coulisses, plusieurs conseillers de l’Union africaine, de la Communauté économique des États d’Afrique centrale et du Secrétariat général de l’ONU observaient la scène, conscients qu’un pas tangible venait d’être franchi après trois décennies d’impasses.
Des engagements précis : désengagement militaire et mécanisme conjoint de sécurité
Le texte publié par le Département d’État décline, en sept volets, un agenda minuté : fin des hostilités sur toute la ligne frontalière, retrait progressif des unités déployées depuis 2022, désarmement des groupes armés non étatiques, retour volontaire des réfugiés, accès humanitaire sans entrave et intégration économique graduellement élargie. Pièce maîtresse, le mécanisme conjoint de sécurité reprend le concept d’opérations (CONOPS) négocié le 31 octobre 2024. La salle où fut signé l’accord bruissait d’optimisme mesuré. « Le temps des prolégomènes est révolu ; nous entrons dans celui des vérifications », a résumé un diplomate onusien, rappelant que le M23 occupe encore des poches stratégiques dans le Nord-Kivu.
Multiplicité des parrains : Washington, Kigali, Kinshasa et la discrète Brazzaville
Si l’opus diplomatique se déroule à Washington, la partition fut d’abord écrite à Addis-Abeba et peaufinée à Brazzaville lors de pourparlers confidentiels. La République du Congo, par l’entremise de son ministre des Affaires étrangères, a offert des canaux informels de dialogue reconnus pour leur discrétion. Cette contribution, saluée dans les couloirs du Département d’État, illustre l’importance des passerelles régionales et la place qu’occupe Brazzaville dans la micro-géopolitique des Grands Lacs, sans jamais s’ériger en protagoniste visible.
Un horizon sécuritaire encore semé d’incertitudes à l’Est de la RDC
La signature n’efface pas la densité des défis opérationnels. Les chancelleries rappellent que plus de 130 groupes armés conservent un ancrage sociologique dans l’Ituri, le Nord-Kivu et le Sud-Kivu. L’accord prévoit une intégration conditionnelle des combattants dans les forces régulières, mais les listes de bénéficiaires divisent déjà certaines communautés locales. « Nous saluons la dynamique, mais le terrain reste rétif aux solutions de papier », confie un chercheur du Rift Valley Institute. Les ONG humanitaires réclament, pour leur part, une sécurisation urgente des corridors afin de prévenir de nouvelles vagues de déplacement.
Intégration économique : de la théorie à la chaîne logistique
Le chapitre économique du traité pourrait modifier la cartographie commerciale des Grands Lacs. Il ouvre la voie à des zones de libre-échange bilatérales, à la réhabilitation des liaisons ferroviaires passant par Goma et à la promotion d’un marché régional de l’énergie. Les ministres des Finances des deux États ont déjà mandaté une task-force technique chargée de modéliser l’impact budgétaire. En filigrane, la lutte contre le commerce illicite des minerais de conflit apparaît comme un indicateur de crédibilité : selon la Banque africaine de développement, près de 20 % du coltan congolais échapperait toujours aux circuits formels.
Chronogramme de mise en œuvre et surveillance internationale
Le document institue un comité de suivi présidé conjointement par l’Union africaine et les États-Unis, avec des rapports trimestriels transmis au Conseil de sécurité. L’accord mentionne également des mécanismes d’arbitrage inspirés de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples. La première évaluation est attendue pour novembre 2025, date à laquelle les forces rwandaises et congolaises devront avoir terminé le désengagement initial. « La crédibilité de ce texte reposera sur la lecture rigoureuse des clauses et la fourniture de métriques claires », avertit un haut fonctionnaire de l’Union européenne, rappelant l’expérience mitigée des accords de Lusaka et de Pretoria.
Vers une normalisation progressive des relations bilatérales
Au lendemain de la cérémonie, les ministres de la Santé des deux pays ont annoncé une campagne transfrontalière de vaccination contre la poliomyélite, signal tangible d’un retour à la coopération civile. Sur le plan diplomatique, Kinshasa a indiqué la réouverture intégrale de son ambassade à Kigali avant la fin de l’année. « Notre priorité demeure la stabilité intérieure, mais nous savons que la paix est indivisible », a insisté Thérèse Kayikwamba Wagner. Pour Olivier Nduhungirehe, la signature ouvre « une ère d’interdépendance assumée, bénéfique à nos populations et à toute la région ».
Un test grandeur nature pour la résilience régionale
La réussite de cet accord résonnera au-delà des frontières immédiates. Les observateurs estiment que la région des Grands Lacs pourrait devenir un laboratoire de gouvernance sécuritaire, à l’instar du bassin de l’Okavango après le traité angolo-namibien. Dans cette dynamique, les capitales d’Afrique centrale, Brazzaville en tête, entendent jouer un rôle de stabilisateur en offrant des plates-formes diplomatiques neutres. Pour l’heure, la prudence reste de mise : l’histoire des processus de paix africains enseigne que le plus délicat commence souvent après la signature.