De Washington aux Grands Lacs : genèse d’une médiation
Dans la salle Tapley Bennett du département d’État, le 27 juin, le secrétaire d’État américain Marco Rubio a évoqué « un moment important après trente ans de guerre », tout en reconnaissant qu’il restait « beaucoup à faire ». À ses côtés, les chefs de la diplomatie rwandaise et congolaise ont paraphé un accord qui, pour la première fois depuis l’échec du processus de Nairobi, engage les deux capitales sur un calendrier conjoint de désescalade. Washington s’est imposé comme facilitateur, profitant de l’inertie de certaines initiatives régionales et de la lassitude des bailleurs multilatéraux face à une crise humanitaire décrite par le HCR comme « l’une des plus complexes du continent ».
Les clauses centrales : désarmement, retour des réfugiés, corridors humanitaires
Le texte – qui comporte douze articles et trois protocoles additionnels – instaure un cessez-le-feu immédiat, la création d’une zone tampon de quinze kilomètres autour de Goma et un dispositif de cantonnement des groupes armés supervisé par la MONUSCO renforcée. Il prévoit en outre le rapatriement volontaire de quelque 120 000 réfugiés congolais installés au Rwanda depuis 1996, ainsi que l’ouverture de trois corridors humanitaires destinés à sécuriser l’acheminement des vivres vers Rutshuru, Masisi et Kalehe. « Nous avons désormais une architecture qui combine sécurité, développement et réconciliation », estime le professeur Delphin Mukwege, chercheur à l’Université de Kinshasa.
Rôle des partenaires régionaux et internationaux
Si Washington a fourni le cadre, l’accord doit beaucoup au lobbying discret de l’Union africaine et à l’appui technique de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC). Brazzaville, qui assure actuellement la présidence tournante de l’organisation, a soutenu la formation d’un comité de suivi composé de diplomates congolais, rwandais, angolais et centrafricains. Un haut fonctionnaire congolais explique que « le président Denis Sassou Nguesso a encouragé une approche pragmatique fondée sur la prévention et l’intégration économique, évitant toute posture culpabilisatrice ». L’Union européenne, pour sa part, contribue à hauteur de 45 millions d’euros pour le déploiement d’observateurs civils chargés de vérifier la libre circulation des personnes et des biens.
Risques de rechute et mécanismes de suivi
Les chancelleries occidentales rappellent que quatre cessez-le-feu similaires ont échoué depuis 2008. L’activation d’un Tribunal spécial ad hoc pour les crimes commis dans les Kivu, bien que mentionnée dans l’appendice II, reste sujette à négociation. Selon une note confidentielle des services onusiens consultée à New York, la persistance des économies de prédation – coltan, or, bois précieux – menace la durabilité du compromis. Le colonel John Mukiza, chef d’état-major adjoint des FARDC, souligne toutefois que « l’intégration progressive d’anciens combattants au sein d’unités mixtes, couplée à un financement pérenne de la réforme du secteur de sécurité, peut créer un effet dissuasif contre la reprise des hostilités ».
Lecture de Brazzaville et implications pour la CEEAC
Les autorités congolaises de Brazzaville se félicitent d’un accord susceptible de stabiliser un voisinage immédiat dont les turbulences rejaillissent sur les flux commerciaux et les corridors fluviaux reliant Kinshasa, Bangui et Pointe-Noire. Pour plusieurs diplomates en poste sur le fleuve, cette dynamique ouvre la voie à une refonte des priorités de la CEEAC, axée jusqu’alors sur la sécurité maritime dans le golfe de Guinée. La création envisagée d’un fonds régional de reconstruction post-conflit pourrait, selon le ministère congolais des Affaires étrangères, renforcer la cohésion entre États membres sans trancher dans les prérogatives de souveraineté. L’économiste Rachel Mboungou juge que « la paix dans l’Est de la RDC, si elle se confirme, constituerait un multiplicateur pour les échanges transfrontaliers, de la brasserie à l’énergie, tout en améliorant l’image d’un bassin fluvial stratégique ».
Vers une décrispation durable ?
L’accord de Washington se présente comme la synthèse d’initiatives éparses : feuille de route de Luanda, mécanisme conjoint de vérification de Goma, conférence humanitaire de Bujumbura. Le pari consiste à articuler ces instruments dans un calendrier réaliste soumis à un reporting public trimestriel. En filigrane, la stabilité des Grands Lacs demeure tributaire de facteurs exogènes, qu’il s’agisse des prix mondiaux des minerais stratégiques ou des échéances électorales dans la région. Pour l’heure, la signature du 27 juin offre une fenêtre d’opportunité que diplomates et analystes jugent « étroite mais tangible ». La conjonction d’une volonté politique affichée, d’un soutien logistique international et d’une pression sociétale croissante permet d’entrevoir la possibilité d’un tournant, à condition que chaque partie honore ses engagements avec rigueur et transparence.