Ce qu’il faut retenir
Sur Facebook, WhatsApp ou Twitter, des messages stigmatisant les Congolais dits « non purs » se multiplient. Derrière le clavier, une rhétorique xénophobe menace l’unité patiemment construite depuis la Conférence nationale de 1991. Le risque : rallumer des braises identitaires dans un contexte économique encore fragile.
Racines numériques d’un malaise ancien
Les historiens rappellent que la République du Congo a rarement connu de tensions interethniques prolongées. Pourtant, la révolution Internet donne à des propos jadis cantonnés aux troquets un écho national immédiat. Quelques captures d’écran suffisent à transformer une invective locale en polémique virale.
Le phénomène s’alimente d’algorithmes privilégiant la réaction rapide. Plus un message choque, plus il ressort dans les fils d’actualité. Dans un pays où huit jeunes sur dix consultent leur smartphone au moins une fois par heure, la tentation de surfer sur l’indignation demeure forte.
Un vivre-ensemble consolidé par la Constitution
La Loi fondamentale de 2015 proclame l’égale dignité de tous les citoyens, sans distinction d’origine. En 2021, le ministère de la Communication a rappelé que « l’identité congolaise se nourrit de la pluralité des peuples », appel inséré dans la stratégie nationale de l’unité.
Au quotidien, la mixité s’incarne dans les marchés de Dolisie, les chantiers de Pointe-Noire ou les bancs de l’Université Marien-Ngouabi. Les mariages interrégionaux représentent, selon l’Institut national de la statistique, près de 38 % des unions formelles enregistrées depuis 2018.
Chômage, pauvreté : des maux partagés
La jeunesse congolaise, toutes origines confondues, est confrontée à un taux de chômage supérieur à 20 %. Dans les quartiers périphériques de Brazzaville comme dans les villages du Niari, l’absence d’emplois qualifiés nourrit frustration et sentiment d’abandon, terrain fertile aux discours exclusifs.
La pauvreté monétaire touche environ 40 % de la population, rappelle la Banque mondiale. Or le panier de la ménagère n’interroge pas l’ethnie. Mêmes difficultés pour accéder à l’eau courante, mêmes inquiétudes face à l’envolée du prix du sac de ciment ou du mil.
L’action publique pour la cohésion
Face à la montée des propos haineux, le gouvernement a installé en février une cellule de veille numérique associant la Haute autorité de la communication et l’Agence de régulation des postes et communications électroniques. Objectif : détecter puis saisir la justice en cas d’incitation caractérisée.
Le ministère de la Jeunesse a, de son côté, lancé la campagne « Touche pas à mon voisin » dans vingt-huit lycées pilotes. Des pairs éducateurs y animent des débats sur la tolérance, tandis que des ateliers consacrés au montage de projets collectifs démontrent que la coopération paie.
La responsabilité des plateformes
Les réseaux sociaux congolais reposent majoritairement sur des entreprises étrangères dont les centres de modération sont situés hors d’Afrique. Le délai de retrait des contenus jugés offensants y dépasse souvent vingt-quatre heures, laps suffisant pour que le message circule dans plusieurs groupes privés.
Brazzaville plaide désormais pour un protocole régional au sein de la CEMAC afin d’harmoniser les obligations de vigilance imposées aux plateformes. Selon un conseiller du ministre des Affaires étrangères, « l’enjeu est de protéger la liberté d’expression tout en préservant la cohésion, bien public supérieur ».
Scénarios
Si rien n’est fait, les discours de haine pourraient se transformer en intimidations physiques, préviennent plusieurs ONG de défense des droits humains. Dans un contexte d’élections locales en préparation, le clivage identitaire deviendrait alors un outil redoutable pour mobiliser ou dissuader des électeurs.
À l’inverse, une mobilisation concertée des pouvoirs publics, des médias et des influenceurs peut faire valoir une narration positive. Les récentes victoires des Diables rouges en basket ou les festivals culturels d’Oyo fournissent des occasions de célébrer un patriotisme inclusif et apaisé.
Et après ?
Les experts en cybersociologie recommandent d’intégrer l’éducation au numérique dans le tronc commun dès le collège. Savoir identifier une rumeur, vérifier une source et signaler un contenu haineux sont désormais des compétences citoyennes au même titre que lire, écrire ou compter.
À plus long terme, le développement équilibré des territoires reste la garantie ultime contre la tentation du repli. Routes rurales, accès à l’électricité et diversification économique figurent déjà dans le Plan national de développement 2022-2026. Le défi consiste désormais à accélérer la mise en œuvre.
La République du Congo dispose d’atouts pour relever le défi : jeunesse instruite, richesse culturelle et volonté politique affichée. Transformés en leviers, ces atouts feront du numérique un outil de dialogue plutôt que de division, et conforteront la stabilité promue au plus haut sommet de l’État.
Le point juridique/éco
Au plan légal, l’article 12 de la loi 2019 sur la cybersécurité réprime toute publication à caractère discriminatoire d’une peine pouvant atteindre trois ans de prison. Les procureurs ont déjà ouvert sept informations judiciaires depuis janvier, signe d’une judiciarisation progressive du phénomène.
Sur le terrain économique, Deloitte estime que l’économie numérique pourrait représenter 8 % du PIB national en 2025 si la confiance entre usagers demeure intacte. Chaque dérapage xénophobe coûte donc potentiellement des investissements, car les firmes internationales surveillent de près l’indice de stabilité sociale.
