Une fenêtre de tir financière exploitée avec prudence
À la faveur d’un climat monétaire sous-régional redevenu plus accommodant, le ministère camerounais des Finances a choisi le 30 juin 2025 pour solliciter le marché des titres publics de la Banque des États de l’Afrique centrale. La conjoncture offrait un spread relativement bas et un calendrier affranchi des fortes émissions habituelles de fin d’exercice, réduisant ainsi l’effet d’embouteillage. D’un montant de 200 milliards de FCFA – soit 351 millions de dollars américains – la souscription a affiché un taux de couverture dépassant 110 %, indice d’un appétit certain des opérateurs pour les titres souverains camerounais, dont la maturité se décline entre trois et quatre ans. Les analystes y voient un signal de normalisation bienvenue après les turbulences de 2023, marquées par la remontée des rendements sur la place de Douala.
L’empreinte stratégique d’Afreximbank dans la structuration
Au-delà de la mécanique purement obligataire, l’opération témoigne d’une évolution notable de l’écosystème de financement africain. Afreximbank, chef de file du consortium bancaire, n’a pas seulement garanti une partie des titres ; l’institution a aussi proposé une facilité de liquidité destinée à sécuriser les paiements en cas de tension ponctuelle sur les caisses de l’État. Ce dispositif, inspiré des pratiques de syndication internationales, rassure les investisseurs institutionnels locaux et ouvre la voie à une circulation accrue des capitaux intrarégionaux. Selon un cadre de la banque interrogé à Abuja, « l’objectif est d’arrimer progressivement les émissions Cemac aux standards des Eurobonds, tout en préservant la souveraineté monétaire ».
La Cemac teste sa profondeur de marché à l’aune de Yaoundé
La réussite de cette levée éclaire la capacité d’absorption du marché BEAC, encore perçu comme étroit comparé aux places ouest-africaines. Les programmes de réformes pilotés par la Commission de la Cemac, articulés autour de la dématérialisation des titres et de l’élargissement de la base d’investisseurs, portent leurs premiers fruits. Signe de cette montée en puissance, les sociétés de gestion d’actifs basées à Libreville et Brazzaville ont renforcé leurs positions sur l’émission camerounaise, cherchant à diversifier des portefeuilles parfois trop concentrés sur la dette bancaire classique. Pour un diplomate financier congolais, « l’enjeu est d’accroître la circulation de l’épargne sous-régionale avant d’ouvrir davantage aux capitaux extérieurs ». L’exercice de Yaoundé constitue dès lors un test grandeur nature pour jauger la résilience du compartiment obligataire Cemac.
Incidences macroéconomiques et ancrage de la trajectoire budgétaire
Sur le plan intérieur, le produit de l’emprunt permettra de financer des projets prévus par la loi de finances rectificative, notamment dans les infrastructures routières et l’habitat social, sans renchérir excessivement le service de la dette. Le Trésor camerounais soutient que le coût moyen pondéré de l’émission reste inférieur au taux de croissance nominale du PIB, garantissant, dans l’optique orthodoxe du Fonds monétaire international, la soutenabilité de l’endettement (Minfi). Il n’en demeure pas moins que la trajectoire budgétaire devra composer avec une masse salariale et des subventions énergétiques encore élevées. Yaoundé mise sur la consolidation progressive des recettes non pétrolières pour maintenir un déficit sous la barre des 3 % du PIB, conformément aux critères de convergence communautaires.
Effets d’entraînement pour les voisins et rayonnement prudent de Brazzaville
La levée camerounaise résonne au-delà de ses frontières. À Brazzaville, le ministère des Finances observe avec intérêt la stabilité des coupons obtenus, y voyant la preuve que la région peut attirer des capitaux à des conditions concurrentielles sans recourir systématiquement aux marchés internationaux plus volatils. Des responsables congolais, sous couvert d’anonymat, soulignent que la discipline budgétaire prônée par le président Denis Sassou Nguesso participe à renforcer la crédibilité globale de la Cemac et à maintenir un spread de risque modéré pour l’ensemble des États membres. Dans un environnement où la diversification des sources de financement est primordiale, la convergence des politiques et la transparence de l’information financière demeurent les prérequis d’une attractivité durable.
Vers une maturité accrue du marché sous-régional
En définitive, le succès de l’émission camerounaise cristallise plusieurs tendances : la consolidation d’un marché domestique capable d’absorber des volumes plus importants, l’affirmation d’acteurs panafricains tels qu’Afreximbank et le renforcement des synergies inter-gouvernementales au sein de la Cemac. Cette évolution, observée avec intérêt par les bailleurs multilatéraux, suggère qu’un palier a été franchi dans la quête d’autonomisation financière de la sous-région. Elle offre également une marge de manœuvre supplémentaire aux autorités de chaque capitale, notamment Brazzaville, pour calibrer leurs propres stratégies d’émission, tout en demeurant vigilantes quant aux risques de sur-endettement. L’enjeu, désormais, consiste à transformer cette embellie en dynamique pérenne, afin d’arrimer plus solidement l’Afrique centrale aux flux mondiaux d’investissement responsables.