Une inauguration sous le signe de la souveraineté énergétique
Pointe-Noire a retrouvé, le 12 juin 2025, l’atmosphère solennelle des grands rendez-vous économiques. Dans la base industrielle de Saipem, les étendards tricolores flottaient aux côtés du logo d’Eni tandis que le ministre des Hydrocarbures, Bruno Jean-Richard Itoua, coupait le ruban inaugural de Yasika aux côtés d’Andrea Barberi, directeur général d’Eni Congo. « Yasika est le symbole tangible de notre ambition de transformer le potentiel gazier en prospérité partagée », a déclaré le ministre, rappelant la priorité accordée par le gouvernement à la monétisation du gaz depuis l’adoption du Plan national de développement 2022-2026. En langues nationales, le nom Yasika évoque un « nouveau départ » ; un choix sémantique qui relie l’infrastructure à la volonté politique de souveraineté énergétique, sans occulter la place des partenaires étrangers dans la montée en puissance du secteur.
Yasika, pivot du projet Congo GNL et du permis Marine XII
Stratégiquement arrimée au projet Congo GNL, la base logistique concentre les flux indispensables à l’exploitation du permis offshore Marine XII, considéré par les géologues comme l’un des gisements gaziers les plus prometteurs d’Afrique centrale. Les deux unités flottantes de liquéfaction, Tango FLNG (0,6 million de tonnes par an) mise en service fin 2023 et Nguya FLNG (2,4 millions de tonnes) dont le démarrage est attendu avant 2026, verront converger vers leurs pontons la quasi-totalité des équipements, pièces de rechange et équipes transitant par Yasika. La plateforme jouera également un rôle clé dans la modernisation de l’usine de Litchendjili et l’interconnexion progressive des infrastructures, ce qui renforcera la fiabilité de la chaîne d’approvisionnement en gaz naturel liquéfié destiné tant au marché intérieur qu’à l’exportation.
Des infrastructures calibrées pour l’efficacité logistique
Occupant près de 190 000 m² sur le littoral atlantique, Yasika se distingue par un quai long de 285 mètres, des ateliers et entrepôts totalisant 16 000 m², ainsi qu’un embarcadère dédié aux rotations maritimes à haute fréquence. La base intègre une unité de traitement des boues et ciments pour le forage, sur 1 100 m², réduisant ainsi le transit de matières dangereuses vers les sites urbains. Sur le plan organisationnel, les flux matériels suivent un schéma « porte-à-pont » directement synchronisé avec les besoins des installations offshore, ce qui limite les temps d’attente des navires à quai et, partant, le coût opérationnel global. Selon un ingénieur d’Eni, « chaque heure gagnée à Pointe-Noire représente trois heures économisées en mer », un ratio révélateur des économies d’échelle recherchées.
Contenu local et transfert de compétences : un pari gagnant
Si la dimension logistique de Yasika est spectaculaire, sa portée socio-économique n’est pas moins stratégique. Les structures Midwater Arch (MWA1 et MWA2), indispensables au maintien des conduites sous-marines, sont actuellement manufacturées sur place par des soudeurs et chaudronniers congolais encadrés par des superviseurs italiens et brésiliens. D’après le syndicat local de la métallurgie, plus de 300 emplois qualifiés ont déjà été créés dans ce seul segment. Andrea Barberi insiste sur le double dividende recherché : « Former des techniciens nationaux et densifier la chaîne de sous-traitance locale, c’est investir dans la compétitivité durable du pays. » Ce discours rejoint la réglementation congolaise sur le contenu local promulguée en 2021, qui impose aux opérateurs pétro-gaziers de réserver un quota substantiel de contrats et de postes aux entreprises nationales.
Quels impacts pour la diplomatie énergétique régionale ?
En se dotant d’un hub aussi moderne, Brazzaville ambitionne de consolider son rôle de fournisseur fiable de gaz en Afrique centrale et sur le marché atlantique, à l’heure où plusieurs pays européens cherchent des alternatives pérennes au gaz russe. Le ministère des Affaires étrangères souligne que « la crédibilité logistique est devenue un argument diplomatique de premier ordre » ; Yasika matérialise cette crédibilité en fournissant une interface sécurisée et efficiente entre offshore et onshore. Elle devrait également renforcer les négociations en cours avec la Communauté économique des États d’Afrique centrale (CEEAC) sur l’interconnexion régionale des gazoducs et sur la création d’une bourse sous-régionale du carbone, deux dossiers où la République du Congo entend faire valoir sa capacité d’exportation et de stockage.
Un environnement réglementaire propice aux investissements internationaux
Le climat d’affaires congolais a fait l’objet de réformes visant à accroître la transparence contractuelle et la sécurité juridique des investisseurs. L’accord de partage de production révisé pour Marine XII, signé en 2022, introduit une fiscalité progressive qui tient compte du cycle de vie des gisements. Des observateurs du cabinet Wood Mackenzie estiment que le délai de retour sur investissement des infrastructures gazières congolaises est désormais « compétitif face aux projets du golfe du Mexique ». C’est dans ce cadre que des acteurs tels que New Fortress Energy et l’assureur MIGA, bras financier de la Banque mondiale, ont manifesté un intérêt pour la couverture des risques politiques des nouvelles extensions portuaires.
Trajectoire bas carbone et perspectives d’avenir
Conscients de la montée des impératifs climatiques, les décideurs congolais et la direction d’Eni ont convenu d’un plan de réduction de 30 % des émissions de méthane sur les installations Marine XII d’ici 2030. Le recours à l’alimentation électrique à quai pour les navires de soutien, rendu possible par l’infrastructure câblière de Yasika, contribuera à cet objectif. Par ailleurs, la base servira de banc d’essai pour la capture du carbone biologique à travers la plantation de mangroves sur les abords de la Lagune de Loango, un projet appelé à bénéficier de crédits carbone volontaires, ouvrant ainsi une nouvelle source de revenus pour les communautés riveraines.
Vers une consolidation de l’influence économique de Brazzaville
À l’horizon 2027, le gouvernement table sur une augmentation de 15 % des recettes fiscales issues du gaz, contribuant à diversifier une économie encore largement indexée sur le pétrole brut. La base Yasika en est l’articulation physique, mais son impact se jouera dans la confiance qu’elle suscitera chez les partenaires financiers et commerciaux. Comme le rappelle un diplomate africain en poste à Bruxelles, « la compétitivité logistique est la nouvelle frontière de la diplomatie économique ». À ce titre, l’inauguration de Yasika résonne comme une annonce forte de la République du Congo : celle d’un État qui investit dans ses infrastructures pour sécuriser sa place dans le grand jeu énergétique mondial, tout en veillant à l’ancrage socio-économique local.