Un accord paraphé sous le sceau de la Maison-Blanche
Le 27 juin, dans l’austère salle Jefferson du Département d’État, les ministres Olivier Nduhungirehe et Thérèse Kayikwamba Wagner ont échangé des dossiers au cuir sombre avant de se serrer la main sous l’œil satisfait du secrétaire d’État Marco Rubio. Trois pages dactylographiées actent le cessez-le-feu immédiat, la création d’un corridor humanitaire et la convocation, sous trente jours, d’un comité mixte de suivi. « Aujourd’hui, la violence et la destruction prennent fin », s’est enflammé le président américain Donald Trump, lequel revendique une « diplomatie de résultats » (déclaration officielle).
Aux origines d’un contentieux régional tentaculaire
Depuis l’exode des extrémistes hutus vers le Kivu en 1994, l’Est congolais concentre méfiances réciproques et convoitises minières. Les deux guerres du Congo ont laissé un tissu social déchiré tandis que plusieurs accords – Lusaka 1999, Pretoria 2003, Nairobi 2013 – se sont heurtés à la persistance des milices. Selon la BBC, le mouvement M23, soutenu de facto par Kigali selon Kinshasa, contrôle encore des poches montagneuses riches en coltan. De son côté, le Rwanda invoque la menace des FDLR pour justifier des incursions préventives. La nouvelle feuille de route prévoit un désengagement synchronisé : retrait rwandais, cantonnement du M23 puis intégration sélective dans les forces congolaises.
Washington, médiateur intéressé mais incontournable
Le Département d’État a conditionné son intermédiation à un chapitre économique qui, d’après le Financial Times, ouvre la voie à des concessions minières majeures au bénéfice de consortiums américains. Officiellement, il s’agit de « garantir des chaînes d’approvisionnement éthiques » pour des minerais stratégiques comme le cobalt. Pour un négociateur africain ayant requis l’anonymat, « la carotte des investissements infrastructurels a facilité les concessions politiques ». L’implication discrète du Qatar, signalée par Al-Jazeera, a également pesé, Doha ambitionnant de devenir place de négoce des terres rares.
Un volet sécuritaire adossé à une coopération commerciale
Le texte institue un mécanisme conjoint de patrouilles frontalières et la mise sur pied, à Goma, d’un centre d’échanges douaniers numérisé. Il prévoit en outre l’acheminement prioritaire d’électricité rwandaise vers Bukavu et des quotas préférentiels pour le thé congolais sur le marché de Kigali. La Banque africaine de développement, rejointe par la Banque de développement des États de l’Afrique centrale – organisme dont Brazzaville est membre fondateur –, s’est déclarée prête à financer des corridors routiers afin d’amplifier les flux légaux et tarir les voies illicites.
Espoir mesuré dans les provinces meurtries
Sur le terrain, les organisations humanitaires rappellent que plus d’un million de déplacés attendent un retour sécurisé dans leurs localités. Le gouverneur du Nord-Kivu, le général Constant Ndima, se dit « prudemment optimiste » et prévient qu’une réaffectation budgétaire vers la santé et l’éducation n’interviendra qu’après vérification de la démobilisation. Les communautés locales redoutent la remobilisation de chefs de guerre marginalisés. Le chercheur congolais Onesphore Sematumba évoque « une lassitude certaine mais aussi la conscience qu’il n’existe pas d’alternative crédible au compromis ».
Vers une architecture de sécurité régionale plus cohésive
L’accord de Washington s’imbrique dans l’ambition plus vaste de la Communauté d’Afrique de l’Est d’opérationnaliser une force régionale capable d’intervenir préventivement. Brazzaville, quoique géographiquement à l’écart des combats, plaide depuis plusieurs années pour une approche fondée sur la diplomatie préventive et la complémentarité entre intégrations régionales. Dans les couloirs de l’Union africaine, plusieurs diplomates soulignent que la stabilisation de l’Est congolais pourrait libérer un potentiel logistique précieux pour le développement des couloirs fluviaux vers l’Atlantique, priorité de la CEMAC.
Entre vigilance et volonté de croire
Ni triomphalisme ni cynisme : telle est l’attitude qui domine parmi les chancelleries africaines. Les précédents rappellent la fragilité des promesses non adossées à des mécanismes de contrôle robustes. Toutefois, l’association inédite d’intérêts sécuritaires, miniers et commerciaux, amplifiée par une implication directe de Washington, modifie la donne. À moyen terme, la réussite de ce laboratoire diplomatique pourrait renforcer l’idée d’une gouvernance régionale partagée, où les capitales du bassin du Congo, Brazzaville en tête, joueraient un rôle pivot dans la consolidation de la paix et la circulation régulée des ressources.