Washington scelle un virage diplomatique dans les Grands Lacs
Dans les salons feutrés du Département d’État, la poignée de main échangée le 27 juin 2025 entre Thérèse Kayikwamba Wagner et Olivier Nduhungirehe a signé plus que la fin théorique d’une confrontation vieille de trois décennies ; elle a consacré le retour des États-Unis au centre du jeu diplomatique africain. En présence du secrétaire d’État américain Marco Rubio, qui a salué « un premier pas majeur », les deux ministres ont apposé leur signature sur un texte finalisé au terme de discussions marathons conduites depuis avril entre Kinshasa et Kigali. Le président Donald Trump devait recevoir les délégations dans l’après-midi, signal d’un engagement présidentiel rare pour un dossier longtemps cantonné aux couloirs multilatéraux. Pour de nombreux observateurs, cette médiation américaine recompose un échiquier où la Chine et la Russie avançaient rapidement leurs pions, tandis que les capitales d’Afrique centrale, à l’image de Brazzaville, se félicitent d’un apaisement qui pourrait stabiliser l’ensemble du corridor Congo-Nil.
Les garanties sécuritaires d’un texte ambitieux
Si le document officiel n’est pas encore rendu public, de solides fuites diplomatiques permettent d’en dessiner les grandes lignes. La cessation immédiate des hostilités entre les Forces armées de la RDC et les Forces de défense du Rwanda constitue la pierre angulaire de l’accord. Chacun des deux États s’engage à rompre tout canal de soutien logistique, financier ou politique aux groupes armés opérant de part et d’autre de la frontière. Les FDLR hutu et l’AFC/M23, épicentre des violences les plus récentes, sont explicitement mentionnés. Dans une déclaration laconique, Kigali affirme qu’« aucun militaire rwandais ne franchira plus la frontière congolaise », tandis que Kinshasa promet d’empêcher tout repli de miliciens vers le territoire rwandais. Un comité mixte de vérification, adossé à la Mission des Nations unies, devrait entrer en fonction sous trois semaines afin de contrôler les mouvements de troupes et d’authentifier les accusations d’ingérence qui ont empoisonné les tentatives de paix antérieures.
Un volet économique pensé pour la coopération transfrontalière
Au-delà du strict registre militaire, l’accord accorde une place inédite à l’intégration économique. Dans l’ombre de la cérémonie, des hauts fonctionnaires américains ont évoqué la création d’un Fonds d’Infrastructure Grands Lacs, qui serait abondé par l’Export-Import Bank des États-Unis et ouvert aux investisseurs privés. Barrages hydroélectriques, réhabilitation du corridor routier Bukavu-Gisenyi et mise en place d’un cadastre minier transparent figurent parmi les projets structurants listés en annexe. Les parties signataires entendent ainsi déplacer le centre de gravité du rapport de force vers la coopération énergétique et la transformation locale des minerais stratégiques, cobalt en tête. Les chancelleries régionales, notamment celle de la République du Congo, soulignent le potentiel multiplicateur d’un tel mécanisme pour l’ensemble de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale, dont Brazzaville assure une présidence tournante attentive à la circulation des flux commerciaux.
Entre espoirs mesurés et obstacles persistants
Le précédent des accords de Lusaka, Nairobi ou Addis-Abeba invite à la prudence. À Goma, les déplacés, épuisés par les campements de fortune, exigent dès à présent un calendrier clair de désarmement et de réintégration des ex-combattants. Les ONG locales redoutent que la démobilisation se heurte à l’économie de guerre qui s’est installée dans les collines du Nord-Kivu. Les partenaires internationaux, eux, insistent sur la nécessité d’un financement pérenne des mécanismes de suivi ; Washington a promis dix millions de dollars au lancement, somme jugée symbolique face à l’ampleur des besoins. L’Union africaine, qui a nommé un haut représentant spécial, plaide pour une approche inclusive englobant la société civile et les autorités traditionnelles. Dans ce contexte, la République du Congo, voisine directe des provinces congolaises instables, pourrait offrir son expérience en matière de dialogue post-conflit, forte de la stabilité politique que le président Denis Sassou Nguesso a su maintenir depuis plusieurs années.
Une dynamique régionale à consolider pour la paix durable
Si l’accord de Washington venait à être appliqué avec rigueur, il ouvrirait la porte à un réalignement géopolitique dont bénéficieraient l’ensemble des États riverains du bassin du Congo. Le sommet présidentiel annoncé fin juillet, auquel sont conviés Félix Tshisekedi et Paul Kagame, donnera un premier test de volonté politique. Dans les chancelleries, l’optimisme reste feutré, mais chacun reconnaît que la séquence actuelle offre une fenêtre stratégique rare. À Brazzaville, les conseillers diplomatiques soulignent que la circulation sécurisée des marchandises depuis l’est congolais jusqu’au port autonome de Pointe-Noire constituerait un facteur de croissance partagée. Pour l’heure, la priorité demeure la consolidation du cessez-le-feu ; comme l’a rappelé Marco Rubio, « il reste encore beaucoup à faire ». Sur la ligne de crête entre espoir et vigilance, la région des Grands Lacs avance ainsi vers une paix durable, sous le regard attentif d’une Afrique centrale résolue à transformer la géographie des conflits en géographie du développement.