Bangui entre stupeur collective et réponse institutionnelle
Au lendemain du drame survenu au lycée Barthélemy Boganda, la capitale centrafricaine évolue dans un silence hébété, à peine troublé par la sirène lointaine d’ambulances tardivement rentrées de leurs rotations. Dans une allocution à la tonalité grave, le président Faustin-Archange Touadéra a évoqué « une blessure nationale » et décrété trois jours de deuil. L’appel présidentiel à la « solidarité républicaine » renvoie à un rituel désormais rodé dans un État régulièrement confronté à des crises sécuritaires ou sanitaires, mais il souligne aussi la volonté de conserver la maîtrise du récit face à une opinion publique de plus en plus active sur les réseaux sociaux.
Une tragédie révélatrice des fragilités énergétiques nationales
Selon le ministère de la Santé, la déflagration serait survenue au moment précis où les techniciens de l’Énergie centrafricaine remettaient sous tension un transformateur défaillant. Ce détail technique ouvre une fenêtre crue sur l’état du réseau électrique du pays : seulement 14 % de la population y a accès, et la vétusté des équipements urbains, parfois posés dans les années 1980, accroît le risque d’accidents. « Nous travaillons avec des transformateurs pour lesquels aucune pièce de rechange n’existe plus sur le marché », confie sous couvert d’anonymat un ingénieur mandaté par la Banque africaine de développement, pointant le coût prohibitif des modernisations – environ 120 millions de dollars, selon une étude de la Banque mondiale de 2023.
La sécurité scolaire de nouveau sur la sellette
Au-delà du dysfonctionnement électrique, c’est la question de la gestion des foules scolaires qui occupe désormais la première ligne du débat. Avec plus de 5 300 candidats concentrés dans un établissement prévu initialement pour en accueillir 2 000, le lycée Boganda était voué à l’engorgement. « La politique d’agrégation des centres d’examen, imposée pour des raisons budgétaires et de contrôle, a mécaniquement accru les risques », estime une source au sein du Syndicat national des enseignants. Cet argument rejoint les critiques récurrentes d’ONG locales qui réclament un audit indépendant des normes de sécurité dans les établissements recevant un public dense.
Ondes de choc régionales et mobilisation diplomatique
La Communauté économique des États de l’Afrique centrale, par la voix de son secrétaire permanent, a dit « suivre de près les conclusions de l’enquête » tout en proposant une assistance technique. Le Rwanda et le Cameroun se sont déclarés prêts à dépêcher des spécialistes en gestion de catastrophes. Cette solidarité régionale, souvent invoquée mais rarement concrétisée, pourrait offrir à Bangui un levier pour capter des financements en matière d’infrastructures énergétiques, un domaine jusqu’ici laissé à l’initiative d’opérateurs privés et de bailleurs internationaux.
Le défi de la reconstruction de la confiance publique
Sur les réseaux sociaux, des parents d’élèves accusent déjà les autorités de sous-évaluer le bilan humain, tandis que circulent des vidéos amateur où l’on voit des élèves désemparés, piétinant des copies d’examen abandonnées. Pour Célestin Nguérékata, sociologue à l’université de Bangui, « la catastrophe vient s’ajouter à une perception de l’État comme lointain et peu préventif ». Restaurer la confiance impliquera « des gestes concrets », assure le ministre de l’Éducation, qui promet un fonds d’indemnisation et la reprise des épreuves « dans des conditions de sécurité renforcées ».
Prospective : infrastructures électriques et gouvernance partagée
Au-delà de l’émotion, la tragédie du 25 juin pourrait servir de catalyseur pour un nouveau contrat social autour de l’énergie. Les partenaires internationaux insistent sur l’impératif de mutualiser investissements publics, privé domestique et financements climatiques afin d’installer des mini-grids solaires hors réseau qui réduiraient la dépendance urbaine aux transformateurs obsolètes. « Il s’agit de sortir d’une logique d’urgence permanente pour entrer dans la planification », résume un expert de l’Agence française de développement. Encore faudra-t-il garantir la transparence des marchés et la sécurité des chantiers dans un contexte où les groupes armés n’ont pas totalement disparu des périphéries de Bangui.
Pour l’instant, la nation pleure ses lycéens. Mais dans les cénacles diplomatiques, on sait déjà que les prochaines conférences sur la reconstruction centrafricaine se joueront aussi sur le terrain électrique. Car, comme l’a rappelé le chef de l’État dans son allocution, « éduquer nos enfants exige d’abord de les protéger ». La sécurité scolaire et la modernisation énergétique apparaissent désormais indissociables, à la croisée d’enjeux humanitaires, économiques et politiques dont l’issue conditionnera la stabilité du pays.