Ce qu’il faut retenir
La République centrafricaine aborde les élections de décembre 2025 avec un trou budgétaire de quatre milliards de francs CFA qui menace l’ensemble du calendrier.
Moscou propose un appui logistique et technique, geste salué par Bangui mais encore flou, au moment où les bailleurs traditionnels conditionnent leur aide à des garanties de neutralité et de transparence.
Au-delà du financement, c’est la confiance des citoyens et des partenaires qui se joue : l’issue du scrutin déterminera la capacité de Bangui à avancer sur la réforme de la décentralisation et l’attraction d’investissements indispensables.
Budget électoral sous tension
Le coût global des scrutins présidentiel, législatif et municipal est estimé à neuf milliards de francs CFA, selon l’Autorité nationale des élections. Sur cette enveloppe, cinq milliards seulement sont disponibles, résultat d’une mobilisation interne difficile et d’un soutien extérieur prudent.
Le déficit oblige déjà l’ANE à reprogrammer les municipales, initialement prévues en juin. Or le décalage de ces scrutins de proximité risque de fragiliser la chaîne de légitimité qui, dans un pays au tissu politico-administratif fragile, commence dans les communes.
Le ministre des Finances affirme travailler sur de nouvelles lignes de crédit, mais reconnaît que la guerre au Soudan voisin, l’inflation importée et les urgences humanitaires grèvent la trésorerie. Dans ce contexte, toute contribution étrangère devient précieuse, à condition qu’elle respecte les normes électorales internationales.
Moscou avance ses pions diplomatiques
Le 19 août, l’ambassadeur Alexandre Bikantov a déclaré que la Russie était prête à agir comme « partenaire stratégique » du processus. A Bangui, cette offre est présentée comme la prolongation naturelle de la coopération sécuritaire entamée en 2018 et renforcée par l’arrivée de conseillers russes depuis.
En coulisses, des diplomates soulignent que Moscou cherche également à consolider son image au sein de la CEMAC, région riche en ressources et en marchés militaires. L’appui électoral, moins controversé que le déploiement paramilitaire, offre une vitrine institutionnelle et renforce son réseau d’alliés dans Bangui.
« La coopération russe nous donnera le dernier kilomètre logistique dont nous avons besoin », assure un cadre de l’ANE. Cette confiance, relayée par les médias publics, vise aussi à rassurer l’électorat sur la tenue du vote malgré les tensions sécuritaires et économiques qui persistent encore largement.
Un partenariat aux contours encore nébuleux
Pour l’instant, aucun chiffre n’a été rendu public. Ni le volume financier, ni la nature exacte des équipements n’ont été détaillés. Cette opacité alimente les spéculations, d’autant que les sanctions occidentales imposent à la Russie des restrictions sévères sur les transferts internationaux de fonds électoraux.
Plusieurs organisations de la société civile demandent un cadre juridique clair. Elles rappellent que tout don doit transiter par le Trésor, sous contrôle parlementaire, conformément au Code électoral. Faute de quoi, les contestations post-électorales pourraient s’amplifier et prolonger les cycles d’instabilité déjà trop souvent vécus.
Du côté de Moscou, on insiste sur un soutien technique plutôt que financier, citant l’acheminement de matériel d’impression et la formation de près de cinq cents agents. Cette approche, jugée plus souple, éviterait les flux monétaires exposés aux sanctions, mais limite la marge budgétaire centrale.
Réactions des bailleurs traditionnels
L’Union européenne, principal contributeur lors de la présidentielle de 2020, se dit « ouverte » au cofinancement mais attend une cartographie précise des apports russes. Washington, de son côté, rappelle que toute aide bilatérale doit préserver la compétition politique et la sécurité des observateurs internationaux sur place.
Certains diplomates redoutent un effet de gel. Si les flux russes transitaient hors circuit officiel, les bailleurs pourraient suspendre leur décaissement pour éviter une dilution de la redevabilité. Un tel scénario reporterait à nouveau le vote, aggravant la défiance populaire envers les institutions déjà fragiles.
Scénarios pour le calendrier électoral
L’ANE travaille sur trois hypothèses. La première, optimiste, table sur un accord tripartite rapide Russie-UE-ONU, permettant de combler le déficit d’ici janvier. La seconde prévoit un glissement de trois mois, le temps de diversifier les bailleurs. La troisième anticipe un découplage des scrutins encore possible.
Selon un calendrier interne consulté par notre rédaction, chaque mois de report coûte environ 550 millions de francs CFA en logistique sécuritaire supplémentaire. Au-delà du coût, les acteurs redoutent la fenêtre de violences opportunistes que pourrait ouvrir un vide politique prolongé dans les campagnes centrales.
Et après ? quelles marges de manœuvre pour Bangui
Le président Faustin-Archange Touadéra multiplie les consultations avec les chefs religieux et la plateforme des partis pour maintenir le consensus électoral. Son entourage assure que l’État reste maître d’œuvre et que tout partenaire, russe ou autre, s’inscrira dans les lignes rouges constitutionnelles précisées au printemps.
En filigrane, le dossier centrafricain illustre la recomposition des alliances en Afrique centrale. La Russie, déjà active dans le domaine minier et la formation militaire, tente maintenant d’endosser un rôle d’ingénierie démocratique. Le succès ou l’échec de ce pari pèsera sur sa crédibilité régionale future.