Ce qu’il faut retenir
Le gouverneur de la BEAC, Yvon Sana Bangui, détaille sa feuille de route: encadrer l’essor du Mobile Money, consolider les fonds propres bancaires, fluidifier la réglementation des changes et rapprocher les systèmes de paiement CEMAC-UEMOA, tout en préservant l’orthodoxie monétaire.
Selon ses chiffres, la région compte plus de 40 millions de comptes de monnaie électronique en 2023 et un secteur bancaire appelé à relever son capital minimal. Objectif proclamé : bâtir un écosystème inclusif et robuste au service de la diversification économique.
La ruée vers les portefeuilles digitaux
Entre 2022 et 2023, la base d’utilisateurs a gagné trois millions de comptes, confirmant la préférence des ménages pour un téléphone plutôt qu’une agence. La BEAC applique depuis 2016 un règlement spécifique à l’émission de monnaie électronique, désormais renforcé par des exigences accrues de cybersécurité.
« Nous voulons protéger le consommateur sans étouffer l’innovation », insiste Yvon Sana Bangui lors de son entretien avec Financial Afrik. Les futurs textes prévoient une supervision différenciée des fintechs, la mutualisation des infrastructures de paiement et la certification des plateformes régionales.
Changements attendus avec l’agrément bancaire unique
La réforme de l’agrément bancaire unique, actuellement soumise aux ministres des Finances de la CEMAC, vise à réduire les coûts d’entrée pour les établissements et à favoriser la concurrence. Un dossier délicat car il touche à la souveraineté fiscale des six États membres.
Dans la nouvelle architecture, un établissement autorisé au Cameroun pourra ouvrir une succursale en Centrafrique via une procédure accélérée, sans multiplier les dossiers. Les autorités espèrent ainsi mieux répartir les services financiers et rendre le marché plus profond pour les investisseurs.
Interconnexion CEMAC-UEMOA, pas de fusion des francs
Alors que des voix militent pour unifier les francs XAF et XOF, le gouverneur rappelle que la priorité demeure l’interconnexion technique. « La reprise des rachats de billets créerait une brèche pour les flux illicites », prévient-il, préférant l’harmonisation des plateformes de paiement.
Concrètement, la BEAC et la BCEAO travaillent à relier les systèmes RTGS et à reconnaître mutuellement les QR codes domestiques. À terme, un commerçant de Pointe-Noire devrait encaisser en toute transparence un portefeuille ivoirien, sans risque de change ni surcharge de commission.
Change et industries extractives, dialogue en cours
Les compagnies pétrolières et minières déplorent encore des délais pour rapatrier ou transférer leurs devises. La banque centrale répond que la liberté des transactions courantes est garantie et propose de loger les fonds de restauration des sites dans ses livres afin de rassurer les opérateurs.
Un groupe de travail mixte BEAC-industrie examine les seuils de domiciliation et les marges bancaires applicables. Selon des sources internes, une circulaire pourrait assouplir certains plafonds tout en renforçant le contrôle ex-post, histoire d’allier compétitivité et lutte contre la fuite des capitaux.
Supervision bancaire, virage vers Bâle III
La Commission bancaire de l’Afrique centrale planche sur l’intégration des ratios de liquidité à 30 jours et sur le coussin contracyclique. Le capital social minimal des banques passerait de 10 à 20 milliards de francs CFA, afin de soutenir des portefeuilles plus lourds en infrastructure.
Parallèlement, un dispositif spécifique supervisera les établissements de paiement, jusqu’ici soumis à des règles bancaires classiques jugées disproportionnées. Pour le gouverneur, segmenter la surveillance permettra de libérer l’innovation tout en gardant une vision consolidée des risques systémiques.
Contexte monétaire régional
Le franc CFA, né en 1945, reste arrimé à l’euro avec une parité fixe et la garantie du Trésor français. La zone CEMAC a enregistré 3,5 % de croissance en 2023 selon la BEAC, portée par l’agro-industrie et la reprise du brut congolais.
Portrait d’un gouverneur
Né à Bégoua en 1974, Yvon Sana Bangui a gravi chaque échelon de la BEAC depuis 2005. Les proches saluent un « technicien exigeant » qui consulte beaucoup mais tranche vite. Sa nomination en février 2024 pour sept ans symbolise la volonté d’allier continuité et modernité.
Partisan assumé de l’orthodoxie monétaire, il juge pourtant indispensable une ouverture « structurée » des marchés des capitaux. « Le rôle d’une banque centrale est d’offrir un cadre de stabilité pour que le risque soit porté par l’entreprise, pas par la monnaie », aime-t-il rappeler.
Scénarios d’intégration financière
Si l’interconnexion des paiements aboutit d’ici 2025, les flux intrarégionaux pourraient doubler en valeur, estiment les analystes de la Banque Mondiale. Un tel saut abaisserait les coûts logistiques et renforcerait le corridor Douala-Brazzaville-Pointe-Noire, déjà vital pour les exportateurs.
Et après ?
La priorité immédiate reste la finalisation des textes sur le Mobile Money et la nouvelle grille prudentielle. Viendra ensuite le chantier de la finance verte, que la BEAC veut aligner sur les standards internationaux pour mieux monétiser les crédits carbone du bassin du Congo.
Au-delà des réformes, le gouverneur insiste sur la pédagogie. La BEAC prévoit un portail public de données monétaires et des ateliers dans les universités afin que la jeunesse centre-africaine s’approprie les enjeux de stabilité. « Une monnaie est d’abord une confiance partagée », conclut-il.
Les marchés retiennent leur souffle avant la prochaine réunion du Comité de politique monétaire, annoncée pour septembre 2024 à Brazzaville, où pourrait être dévoilé un taux directeur unique pour les facilités de prêt et de dépôt, gage de lisibilité pour les investisseurs.
