Ce qu’il faut retenir
Autochromes restaurés, films remasterisés et pièces vodun dialoguent à Paris pour raconter le Dahomey de 1931. À travers le regard croisé d’un missionnaire, Francis Aupiais, et d’un opérateur, Frédéric Gardmer, l’exposition rend visible les tensions entre ethnographie, évangélisation et spectacle colonial.
Le parcours, unique incursion des Archives de la Planète en Afrique subsaharienne, interroge la place des collections africaines dans les musées européens et inspire les institutions du continent, à l’heure où Brazzaville prépare la modernisation de son propre Musée national.
Paris célèbre le Dahomey en couleurs
Installée dans les nouveaux espaces du musée des Hauts-de-Seine, la scénographie joue sur les contrastes : écrans géants diffusant les cérémonies vodun de 1930, vitrines tamisées où trônent sceptres royaux et coupes divinatoires, et salles interactives permettant de manipuler virtuellement plaques autochromes numérisées.
« Nous voulions donner la parole aux objets », explique l’historienne Estelle Lussy, commissaire de l’exposition. Elle note la présence d’artistes béninois contemporains, tels Romuald Hazoumé, qui prolongent le récit en détournant images et archives pour questionner la mémoire coloniale sans la figer dans un passé lointain.
Un dispositif pédagogique cible les scolaires franciliens : cartes animées, atlas commentés, infographies sur le commerce du palmier à huile dans l’entre-deux-guerres complètent la visite. Selon la direction, près de cent mille visiteurs sont attendus, renforçant l’attractivité culturelle de la métropole parisienne.
La genèse des Archives de la Planète
A l’origine, le banquier philanthrope Albert Kahn finance dès 1909 une équipe de cameramen et photographes destinée à capturer « les modes de vie qui disparaissent ». Le projet accumule plus de quatre mille stéréoscopies, cent heures de films et des milliers d’autochromes avant la crise de 1929.
Ruiné, Kahn cède son fonds au département de la Seine, préservant un patrimoine visuel incomparable. La mission Dahomey, lancée en 1930, constitue l’unique reportage en Afrique subsaharienne, preuve de l’intérêt grandissant pour le royaume d’Abomey annexé par la France trois décennies plus tôt.
Le père Aupiais, linguiste et ethnographe amateur, obtient l’aval de sa hiérarchie pour accompagner Gardmer. Ensemble, ils filment couronnements royaux, danses de masques Guélédé et géomancie du lancer de cauris. Aupiais rêve de montrer « la noblesse et la religiosité de l’homme noir », note son journal.
Regards croisés sur le Bénin colonial
À travers les vitrines, l’exposition juxtapose tracts missionnaires, plans de concessions et cartes postales racoleuses. Le visiteur mesure l’ambiguïté d’un discours qui exalte les cultures africaines tout en légitimant la tutelle française. La salle consacrée aux sacrifices animaux, expurgée de scènes jugées choquantes, illustre ce dilemme éditorial.
Les commissaires assument ce choix : « Nous ne voulions pas réduire le vodun à sa dimension sanglante », justifie le conservateur Raphaël Dupré. Pourtant, plusieurs universitaires béninois craignent une édulcoration excessive ; ils réclament la diffusion intégrale des rushes pour nourrir leurs recherches anthropologiques.
Des cartels mettent en perspective le travail postérieur de Jean Rouch, de Marc Augé ou d’Ebbe Maupoil. Ce dialogue érudite rappelle combien l’anthropologie s’est construite contre l’ethnocentrisme : la présence de ces références, même critique, donne de la profondeur scientifique au parcours muséal.
Quel héritage pour les musées africains
La question résonne au-delà de Paris. Depuis 2023, le Congo-Brazzaville rénove son Musée national à Mpila, avec soutien de l’AFD. Les débats sur le retour des œuvres, la conservation préventive et la médiation numérique empruntent beaucoup aux méthodes éprouvées par Albert Kahn.
Pour l’architecte congolaise Clarisse Ngatsé, invitée à Paris, « les autochromes prouvent que la technologie peut servir un récit panafricain plutôt qu’un exotisme ». Elle plaide pour des co-commissariats sud-nord afin de garantir des expositions plus équilibrées et de renforcer les compétences locales en archivistique.
La diplomatie culturelle congolaise voit également un levier de soft power : lors du dernier sommet de la CEMAC, Brazzaville a proposé une plateforme régionale d’images historiques pour promouvoir le Bassin du Congo. Les partenaires européens se montrent réceptifs, conscients de l’urgence à partager les métadonnées.
Et après ? Les pistes d’une nouvelle écriture
Le musée annonce déjà une étape brazzavilloise de « Dahomey 1931 » en 2027, sous forme de projections et d’ateliers de conservation. Une opportunité pour rapprocher archivistes béninois et congolais et pour développer des programmes éducatifs bilingues, inspirés du dispositif parisien.
Des scénarios émergent : numérisation collaborative des collections, résidences d’artistes africains dans les Alpes puis à Ouidah, mais aussi diffusion open-source de notices scientifiques. Ces chantiers pourraient accélérer la requalification des images coloniales en documents partagés, accessibles aux chercheurs comme aux diasporas.
En définitive, l’exposition rappelle que les photographies ne sont jamais neutres. Mise en lumière des peuples, mise en abyme des regards, elle invite à re-découvrir un Dahomey vibrant et à imaginer, depuis Brazzaville jusqu’à Cotonou, une nouvelle grammaire muséale africaine, respectueuse des sensibilités contemporaines et de l’histoire.
