Ce qu’il faut retenir
Une rumeur annonçant la mort de l’ex-Première dame Bobi Ladawa, veuve du maréchal Mobutu, a inondé les réseaux sociaux le 16 septembre. Son fils, l’ancien vice-premier ministre Nzanga Mobutu, a aussitôt démenti. Le cas révèle la vitesse des infox et leurs impacts politiques.
Alors que la désinformation touche souvent les institutions, l’épisode rappelle l’importance de l’éducation médiatique, de la veille numérique dans les rédactions et d’un cadre légal clair, trois chantiers dans lesquels le Congo-Brazzaville et la RDC travaillent déjà avec leurs partenaires sous-régionaux.
Rumeurs de décès: chronologie d’une fausse alerte
Mardi, peu après 19 heures, plusieurs comptes Facebook pseudo-journalistiques publient une même phrase: «La veuve du maréchal Mobutu est décédée à Rabat».
En moins d’une heure, le message est repris sur TikTok et WhatsApp, illustré d’une photographie ancienne prise durant le veuvage de Bobi Ladawa à Rabat, ce qui crédibilise l’annonce auprès de milliers d’utilisateurs, notamment dans la diaspora kinoise.
Les médias traditionnels restent prudents, mais certains sites web à la recherche de trafic copient l’information sans vérification, montrant le maillon faible entre réseaux sociaux et portails d’actualité à faible modèle économique.
Le rôle des réseaux sociaux en RDC
Selon l’Autorité de régulation de la poste et des télécommunications, la RDC compte plus de 20 millions d’utilisateurs actifs d’internet mobile, un marché où Facebook représente près de 60 % du temps passé en ligne, devant WhatsApp et YouTube.
La démocratisation des smartphones a ouvert la voie à un véritable forum citoyen, mais le pays ne dispose pas encore d’un mécanisme de fact-checking institutionnel comparable à ceux du Sénégal ou du Kenya, laissant la vigilance aux journalistes et aux familles concernées.
Depuis 2020, plusieurs ONG locales testent des chatbots pour alerter les abonnés lorsqu’une infox virale est détectée, mais leur couverture reste limitée aux grandes villes comme Kinshasa, Goma ou Lubumbashi, à cause des coûts de SMS et de la connectivité.
Réaction de la famille Mobutu
À 21 h 13, Nzanga Mobutu publie un message clair sur X, remerciant «ceux qui se sont inquiétés» et appelant à «se concentrer sur la vérité». La capture d’écran de sa mise au point devient en quelques minutes la source la plus partagée de la soirée.
Contacté par une radio de Kinshasa, l’ancien ministre d’État confirme que sa mère «se repose paisiblement au Maroc» et qu’elle suit des soins de routine adaptés à son âge, sans pathologie alarmante, coupant court aux spéculations sur un éventuel rapatriement du corps.
Cette gouvernance familiale de la communication contraste avec la pratique de nombreuses personnalités publiques qui préfèrent déléguer aux cabinets et révèle le capital symbolique intact dont jouit encore la dynastie Mobutu au sein d’une partie de l’opinion du Congo central.
Contexte historique de la figure Bobi Ladawa
Épousée en 1980 lors d’une cérémonie célébrée par Jean-Paul II à N’Sele, Bobi Ladawa incarnait la volonté de Mobutu de projeter une image modernisée du Zaïre, combinant enracinement familial et ouverture diplomatique, notamment avec le Vatican et le Maroc.
Après la chute du régime en 1997, elle choisit de ne pas intervenir publiquement, préférant la discrétion à l’exil politique. Sa résidence marocaine est ainsi devenue un lieu symbolique de mémoire zaïroise, régulièrement visité par des proches, des historiens et des militants nostalgiques.
L’exploitation de son image dans les débats actuels sur la gouvernance en RDC démontre que la figure mobutiste reste un repère historique, parfois instrumentalisé, mais toujours respecté, y compris par une partie de la classe politique congolaise qui voit en elle un pan du patrimoine national.
Sa longévité alimente aussi la réflexion sur la génération de dirigeants d’après-indépendance, dont les trajectoires personnelles éclairent l’évolution de l’État congolais.
Leçons pour la lutte contre la désinformation
Le ministère congolais de la Communication a plusieurs fois indiqué vouloir renforcer la loi de 2002 sur la presse afin d’y intégrer la responsabilité des plateformes numériques, tout en évitant une censure généralisée qui nuirait à la liberté d’expression et à l’entrepreneuriat digital.
Des experts en cybersécurité soulignent qu’une coopération sous-régionale, via la CEEAC et l’Union africaine, pourrait mutualiser les bases de données de vérification et créer des alertes croisées, car les infox franchissent les frontières plus rapidement que les communiqués officiels.
Les médias indépendants, pour leur part, réclament des incitations fiscales afin de financer des cellules de fact-checking permanentes, estimant qu’un article démenti trop tard creuse la défiance du public, réduit les revenus publicitaires et complique l’accès au marché pour les jeunes entreprises d’information.
Et après? Vers un code de bonne conduite numérique
À Brazzaville, la commission mixte députés-blogueurs analyse actuellement un projet de charte citoyenne du numérique inspirée par celle du Bénin, dans laquelle chaque partage d’information sensible doit être accompagné d’une source vérifiée, sous peine de retrait du message par l’administrateur.
Si la proposition aboutit, elle pourrait servir de modèle à Kinshasa, Rabat et d’autres capitales africaines, démontrant que l’Afrique centrale ne subit pas seulement la désinformation mais élabore des réponses proactives, où s’allient cadres légaux, innovation locale et responsabilités individuelles.