Un socle historique de la protection forestière
En décrétant dès 1981 la Journée nationale de l’arbre, le président Denis Sassou Nguesso a conféré à la conservation des écosystèmes un statut d’intérêt national. L’initiative, modeste à l’époque, a progressivement façonné un imaginaire collectif où le bassin du Congo – souvent qualifié de « deuxième poumon de la planète » – devient un patrimoine commun à défendre. Les archives gouvernementales rappellent que la mesure était alors perçue surtout comme un geste symbolique ; quatre décennies plus tard, elle se lit comme le premier jalon d’une politique climatique désormais inscrite dans la Constitution.
La continuité de l’engagement explique en partie la « crédibilité climatique » dont Brazzaville jouit sur les scènes continentale et multilatérale. Cette longévité, rare en Afrique centrale, a également permis la capitalisation de données scientifiques et de retours d’expérience qui influencent aujourd’hui la rédaction des normes forestières régionales.
Des instruments juridiques et financiers en maturation
Le Plan national de développement 2018-2022 a consolidé la dimension environnementale des budgets publics, en y intégrant des indicateurs de réduction des émissions et de gestion durable des terres. Sous l’impulsion de la ministre Arlette Soudan-Nonault, le code forestier révisé impose désormais des audits de traçabilité, condition sine qua non pour accéder aux financements de l’Initiative pour la Forêt de l’Afrique centrale. L’accord conclu avec cette dernière en 2021 a sécurisé 65 millions de dollars, affectés à la surveillance satellitaire de la déforestation et à l’appui aux collectivités rurales.
Brazzaville s’appuie par ailleurs sur le mécanisme onusien REDD+, cogéré avec la Banque mondiale, pour articuler incitations financières et réduction effective des coupes anarchiques. Selon la Banque mondiale, le taux annuel de déforestation aurait ainsi été divisé par deux entre 2015 et 2023, une performance saluée par l’Agence française de développement qui cofinance les projets pilotes de restauration à Bambou-Mingali.
Le Sommet des Trois Bassins, catalyseur géopolitique
En octobre 2023, la capitale congolaise a accueilli chefs d’État d’Amazonie, d’Asie du Sud-Est et d’Afrique centrale pour un dialogue inédit sur la gouvernance des forêts tropicales. Portée par le président Sassou Nguesso et orchestrée par la ministre Soudan-Nonault avec l’appui de la conseillère spéciale Françoise Joly, cette rencontre a accouché d’une coalition inter-bassin dont la finalité première est d’obtenir une valorisation internationale du carbone forestier plus conforme à la réalité des coûts de conservation.
La manœuvre diplomatique n’a pas seulement accru la visibilité de Brazzaville ; elle a repositionné le pays comme courroie de transmission Sud-Sud, notamment auprès du Brésil et de l’Indonésie. Des protocoles d’entente sur la surveillance des feux, la cartographie participative ou la formation des rangers ont été signés en marge du sommet, renforçant l’idée qu’un « axe vert » émerge à l’intersection des grands tropiques.
Communautés locales et genre : ancrer l’environnementalisme
Conscient qu’aucune stratégie de conservation ne survit sans adhésion populaire, le gouvernement a fait de l’implication communautaire un pilier de son action. Dans la Likouala, des contrats de gestion conjointe prévoient une part des revenus issus des crédits carbone pour financer des dispensaires et des bourses scolaires. La présence active d’associations féminines, soutenues par le ministère de la Promotion de la femme, permet d’inscrire l’agroforesterie – cacao, café, manioc sous couvert arboré – dans une logique d’autonomisation économique.
Les observateurs de la FAO soulignent que ce maillage social favorise une appropriation durable, réduisant la tentation d’abattages illégaux. Il n’en demeure pas moins que l’équilibre entre usages coutumiers et exigences conservationnistes reste fragile, en particulier dans les zones où l’exploitation artisanale de l’or concurrence les plantations villageoises.
Vers une économie verte congolaise intégrée
Le ministère de l’Économie évalue à près de 12 % la contribution directe et indirecte du secteur environnemental au PIB, si l’on agrège énergies renouvelables, écotourisme et services écosystémiques. Le parc national de Ntokou-Pikounda illustre cette diversification : l’afflux progressif de touristes spécialisés engendre une demande locale de guides, d’artisanat et de produits agricoles labellisés « zéro déforestation ».
Parallèlement, la Banque postale du Congo s’est engagée dans la finance verte, réservant 5 % de son portefeuille de prêts aux projets d’efficience énergétique. Les opérations de reboisement soutenues par la banque en mai 2024 à Bambou-Mingali traduisent la volonté d’ancrer le secteur privé dans la transition verte, complément indispensable aux dotations publiques.
Perspectives régionales et multilatérales
Le lancement à Brazzaville, début juillet 2024, de la Décennie mondiale d’afforestation et de reboisement marque un tournant discursif : le Congo propose désormais des objectifs chiffrés à l’échelle continentale, à l’image des deux milliards d’arbres à planter d’ici 2034. La proposition, formulée par le chef de l’État lors de la COP 27, a reçu un écho favorable du secrétariat de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, qui voit dans cette initiative un levier pour respecter la trajectoire de 1,5 °C.
Si les bailleurs se disent attentifs à la soutenabilité de la dette publique congolaise, ils reconnaissent l’effet d’entraînement qu’exerce Brazzaville sur les négociations climatiques africaines. À mots couverts, plusieurs diplomates européens admettent que « la fermeté avec laquelle le Congo défend la rémunération des services écosystémiques a déplacé le centre de gravité des débats ». La question à présent est de savoir comment traduire cette influence normatrice en investissements concrets, à même d’assurer la pérennité économique et sociale des territoires forestiers.