Des enveloppes record à la recherche de légitimité budgétaire
De Pretoria à Tunis, la saison budgétaire 2025 se distingue par un activisme rarement observé depuis la crise financière mondiale. L’Afrique du Sud, forte de 141,4 milliards de dollars, affiche le montant le plus élevé du continent, suivie de près par l’Algérie et ses 126 milliards. L’Égypte, le Maroc et l’Angola complètent le quinté, confirmant la montée en puissance d’États désireux de convertir leurs réserves – énergétiques pour certains, démographiques pour d’autres – en marge de manœuvre politique. Le discours officiel renvoie à « l’impératif de relance », un credo martelé aussi bien à Alger qu’à Nairobi.
Aucune capitale n’ignore toutefois que la crédibilité d’un budget se joue autant sur la scène intérieure que devant les créanciers extérieurs. En annonçant un plan de 36,7 milliards de dollars, Abuja promet « une transformation majeure » de l’économie nigériane, selon le président Bola Tinubu. Le chiffre apparaît modeste au regard de la population nigériane, mais il révèle une stratégie prudente après la douloureuse dévaluation du naira. Les budgets 2025 cristallisent ainsi la tension classique entre légitimation politique et prudence macro-économique.
La soutenabilité de la dette au cœur des interrogations
Les marges de manœuvre des Trésors africains demeurent étroitement liées aux marchés de capitaux et aux programmes conclus avec le FMI. Le cas angolais illustre cette dépendance : avec un budget de 37,8 milliards de dollars, Luanda table sur une remontée durable des prix du baril pour financer la consolidation post-Covid. Or, un retournement pétrolier compliquerait rapidement le service d’une dette publique déjà proche de 70 % du PIB. Les économistes de la Banque africaine de développement préviennent que « la trajectoire d’endettement de plusieurs pays reste préoccupante ».
Dans le même temps, la Côte d’Ivoire et la Tunisie, qui ferment le top 10 avec un peu plus de 25 milliards chacune, arbitrent entre dépenses sociales et discipline budgétaire afin de rester éligibles aux euro-obligations. Abidjan a réussi, début 2024, un placement souverain sur vingt ans accueilli favorablement, signe qu’un signal de rigueur est encore récompensé. Tripoli, elle, parie sur un redressement institutionnel pour sécuriser les versements d’assistance et préserver son budget de 26 milliards malgré les turbulences politiques.
Infrastructures et cohésion sociale, priorités affichées
Au-delà des ratios financiers, la lecture fonctionnelle des budgets révèle une convergence autour de trois axes : infrastructures de transport, transition énergétique et capital humain. L’Afrique du Sud consacre près de 30 % de ses crédits à la modernisation du réseau ferroviaire et à la réhabilitation d’Eskom, considérée comme condition préalable à toute stratégie industrielle. Rabat, avec 73 milliards, poursuit son plan d’électrification verte, misant sur l’hydrogène pour conserver son avance maghrébine.
Les priorités sociales demeurent centrales. Nairobi alloue plus de 20 % de ses 32,6 milliards à l’éducation et à la santé, conformément à la « Bottom-Up Economic Transformation Agenda » du président William Ruto. Au Caire, l’allocation destinée à la santé atteint un record, dans la continuité de l’initiative « 100 Million Healthy Lives ». Ces choix traduisent une lecture politique lucide : une dépense sociale visible est indispensable pour contenir la pression inflationniste et prévenir les contestations qui ont marqué la décennie précédente.
Course aux devises fortes et arbitrages monétaires
La volatilité des monnaies nationales constitue l’un des angles morts des présentations budgétaires. En 2024, le rand sud-africain et le shilling kényan ont respectivement perdu plus de 12 % et 17 % face au dollar. Convertir des budgets en devise forte masque donc, pour partie, l’effort réel consenti par chaque État. Lagos reconnaît que la facture d’importations alimentaires s’est renchérie mécaniquement, rognant les marges redistributives prévues par le ministère des Finances.
Faute d’une intégration monétaire continentale rapide, les Banques centrales nationales multiplient les resserrements pour défendre leurs taux de change. Cette posture pèse sur la liquidité domestique et renchérit encore le coût du crédit, créant le paradoxe d’États adoptant des budgets expansifs alors que la sphère privée subit un accès restreint au financement. Les diplomates installés à Addis-Abeba observent qu’un consensus se dessine sur la nécessité d’instruments de couverture communs, un dossier que l’Union africaine entend accélérer sous le prisme de la Zone de libre-échange continentale.
Au-delà des chiffres, un levier d’influence régionale
Les grandes manœuvres budgétaires ne sauraient être évaluées sans leur dimension diplomatique. Pretoria, Alger et Le Caire, chacun chef de file dans sa sous-région, convertissent leurs milliards en influence. Le financement de corridors logistiques transfrontaliers, du gazoduc transsaharien ou du projet d’interconnexion électrique d’Inga s’appuie directement sur ces allocations 2025. Rabat voit dans sa capacité de dépense un argument pour attirer les sièges d’entreprises multinationales en quête de stabilité nord-africaine.
L’enjeu est également narratif. En affichant des montants records, les dirigeants entendent démontrer la résilience africaine dans un environnement mondial heurté par les reconfigurations post-ukrainiennes. « Nous voulons envoyer un message de confiance aux investisseurs », confiait récemment le ministre ivoirien de l’Économie à Abidjan. Reste que la confiance se nourrira moins des annonces que de la mise en œuvre rigoureuse des politiques publiques. C’est à cette aune que les budgets 2025 seront jugés, aussi bien par les électeurs que par les chancelleries.
Ultime arbitrage entre relance et prudence
La dynamique budgétaire que révèle le classement 2025 ouvre un cycle d’opportunités mais également de vulnérabilités. Les perspectives de croissance, annoncées entre 3 % et 6 % selon la BAD, restent conditionnées à la stabilité sécuritaire et à la fluidité des marchés internationaux. La relance par la dépense publique, si elle n’est pas accompagnée d’une amélioration de la gouvernance et d’une mobilisation fiscale accrue, pourrait exacerber les fragilités structurelles.
À l’heure où les partenaires du G20 discutent d’un nouveau cadre de restructuration de la dette, les capitales africaines sont conscientes que la sanction des agences de notation peut être rapide. L’exercice 2025 sera donc un test grandeur nature : démontrer qu’il est possible d’accélérer l’agenda 2063 sans creuser un fossé financier qui repousserait les prétentions d’émergence. Comme le résume un conseiller de l’Union européenne à Addis-Abeba : « Les budgets 2025 ne sont pas seulement des colonnes de chiffres, ils sont un signal de maturité ou de fuite en avant. »