Un horizon budgétaire ambitieux et les enjeux de la décennie
Le document préparatoire au budget 2026, récemment dévoilé par le ministère des Finances camerounais, marque une inflexion notable dans la trajectoire de financement public. Yaoundé ambitionne de lever 650 milliards de FCFA – l’équivalent de 1,16 milliard USD – sur les marchés internationaux afin de soutenir des investissements structurants, principalement en infrastructures énergétiques, transport et digitalisation de l’administration. Cette enveloppe, supérieure de près de 30 % à la moyenne des emprunts extérieurs réalisés ces cinq dernières années, témoigne d’une confiance renouvelée dans la capacité du pays à attirer des capitaux privés tout en poursuivant les réformes convenues avec le Fonds monétaire international (FMI) dans le cadre de la Facilité élargie de crédit.
Cartographie des leviers de financement : euro-obligations, prêts syndiqués ou appuis multilatéraux ?
Le gouvernement ne précise pas encore si la mobilisation se fera via une émission d’euro-obligations, un consortium bancaire ou des guichets multilatéraux. Les scénarios actuellement étudiés misent sur une combinaison d’options afin d’optimiser les coûts de service de la dette. La récente détente des primes de risque souverain en Afrique centrale après la restructuration réussie du Gabon et le maintien d’une notation stable pour le Congo-Brazzaville offrent d’ailleurs un terrain plus favorable qu’en 2022. Au-delà d’un éventuel retour sur le marché obligataire international – marché où le Cameroun avait placé 750 millions USD en 2015 puis 700 millions USD en 2021 – les autorités s’intéressent désormais à des prêts syndiqués à maturité plus longue, portés par des banques commerciales du Golfe et d’Asie, réputées plus disposées à accepter des garanties basées sur les recettes pétrolières.
Soutenabilité de la dette publique : entre prudence arithmétique et impératif de croissance
Avec un ratio dette/PIB estimé à 47 % fin 2023 (données Direction générale du Trésor camerounais), le pays demeure en deçà du plafond de 70 % fixé par la CEMAC. Néanmoins, la composition de la dette, marquée par la prédominance de créanciers commerciaux et par la remontée du coût du dollar, impose une vigilance accrue. Selon le FMI, le service de la dette extérieure du Cameroun devrait passer de 641 milliards FCFA en 2024 à 815 milliards FCFA en 2026. Pour rester dans une trajectoire soutenable, l’exécutif mise sur un taux de croissance moyen de 4,6 % à horizon 2027, porté par la montée en puissance du gisement gazier de Kribi et par la redynamisation du corridor ferroviaire Douala-Ngaoundéré.
Perception des investisseurs : le risque souverain d’Afrique centrale en reconfiguration
Les gestionnaires de portefeuilles interrogés lors du Forum Afrique de Londres en avril dernier soulignent que le « revenu fixe camerounais » pourrait redevenir attractif si la trajectoire budgétaire reste crédible. Le maintien d’un cadre macroéconomique cohérent dans l’ensemble de la CEMAC, porté par une discipline monétaire de la BEAC et par la consolidation budgétaire observée au Congo-Brazzaville, participe à atténuer la perception de risque. Pour Éléonore Pellerin, analyste chez Natixis, « le retour d’émetteurs d’Afrique centrale sur les marchés sera jugé à l’aune de la transparence fiscale et de la gouvernance des grands projets ». Les autorités camerounaises ont, de leur côté, mandaté deux banques internationales comme chefs de file potentiels, preuve de leur volonté de satisfaire des standards élevés de reporting.
Implications régionales : synergies CEMAC et diplomatie financière sud-sud
La stratégie de Yaoundé s’inscrit dans un contexte où les États membres de la CEMAC cherchent collectivement à diversifier leurs partenaires au-delà des guichets traditionnels. Le lancement, en 2023, d’un programme régional de gestion active des réserves de change a renforcé la crédibilité du mécanisme de solidarité, tant salué par Brazzaville. Dans ce cadre, Douala et Pointe-Noire planchent sur une initiative conjointe de titrisation des créances douanières, susceptible de fluidifier la logistique transfrontalière le long du corridor maritime Cameroun–Congo. Sans être formellement liées, ces initiatives pourraient constituer des garanties indirectes rassurant les marchés sur l’ancrage régional et la stabilité réglementaire.
Calendrier opérationnel et signaux adressés aux bailleurs
Le ministère des Finances prévoit de finaliser, d’ici février 2025, une revue à mi-parcours du programme triennal FMI afin d’obtenir le « green light » pour l’endettement extérieur non concessionnel. La loi de finances 2026, quant à elle, sera soumise au Parlement en novembre 2025. C’est donc entre mars et juin 2026 que le guichet international pourrait être activé, la fenêtre post-électorale étant jugée la plus propice pour une opération d’envergure. Pour le professeur Giscard Tchoua, macro-économiste à l’Université de Douala, « une réussite en 2026 renforcerait la crédibilité de l’axe Douala-Brazzaville-Libreville et prouverait que l’Afrique centrale sait dialoguer avec les marchés sans sacrifier son espace budgétaire ». En somme, le Cameroun table sur une orchestration minutieuse afin de transformer un pari financier en levier de croissance inclusive.