Ce qu’il faut retenir
La présidentielle du 12 octobre au Cameroun, huitième pour Paul Biya, se joue moins sur les urnes que sur les chiffres. Dette externe, euro-obligations imminentes et programme FMI expiré composent le radar des marchés, tandis que la santé du chef de l’État intrigue.
L’enjeu pour les investisseurs dépasse la politique intérieure. Ils examinent la capacité de Yaoundé à honorer 750 millions de dollars arrivant à maturité en novembre 2025, tout en comblant un déficit budgétaire évalué à 3 % du PIB selon le ministère des Finances.
Un scrutin à l’issue attendue
Face à Paul Biya, les candidatures d’Issa Tchiroma Bakary et de Bello Bouba Maigari peinent à fédérer. L’absence de Maurice Kamto, écarté par Elections Cameroon, scelle une présidentielle que plusieurs observateurs de Douala décrivent comme « jouée avant le coup de sifflet ».
Cette issue anticipée conforte, à court terme, la perception de stabilité politique notée par Fitch Ratings. Mais le cabinet précise que « la stabilité n’est pas la visibilité » et signale l’incertitude liée à la succession du président, âgé désormais de 92 ans.
Vieillesse du capitaine et question de succession
La santé du chef de l’État reste taboue. Quelques apparitions publiques relayées par la CRTV n’ont pas dissipé les rumeurs d’hospitalisations régulières à Genève. Pour l’économiste Muafo Nkom, « l’âge du capitaine accentue la prime de risque exigée par les créanciers ».
Sans mécanisme formel de transmission, la Constitution confie l’intérim au président du Sénat. Or cette chambre n’est élue qu’au suffrage indirect, ce qui alimente les interrogations des chancelleries sur la continuité des réformes budgétaires engagées depuis 2017.
L’euro-obligation de 2025, épée de Damoclès
L’eurobond de 2015 à coupon 9,5 % viendra à échéance dans moins de dix-huit mois. Yaoundé avait envisagé un rachat partiel en 2022, finalement abandonné. D’après Bloomberg, l’obligation se négocie autour de 91 cents pour un dollar, signe de nervosité accrue.
Pour lever 1,6 milliard de dollars supplémentaires, le Trésor compte sur un mix d’emprunts domestiques, de prêts bilatéraux et d’un possible retour sur le marché international. « Toute fenêtre sera coûteuse sans programme FMI à l’appui », prévient l’analyste Hervé Fotso.
Programme FMI en suspens
Le mécanisme élargi de crédit et la Facilité pour la résilience ont pris fin en juillet. Des négociations exploratoires sont évoquées, mais aucune mission officielle n’est annoncée. Or les décaissements du Fonds couvraient près de 30 % des besoins de financement externe en 2023.
Sans l’ancrage du FMI, la gestion de la dette interne devient cruciale. Les banques locales, déjà exposées à hauteur de 2 420 milliards de FCFA, réclament un calendrier de remboursement plus clair avant de rouvrir le robinet des adjudications trimestrielles.
Matières premières et volatilité mondiale
Premier exportateur de cacao d’Afrique centrale, le Cameroun profite des prix records actuels. Cependant, la remontée du dollar et la prudence de la Banque des États d’Afrique centrale limitent les gains budgétaires, tandis que la production pétrolière décline sous l’effet du vieillissement des champs offshore.
Le bois et le gaz complètent le panier, mais les contraintes logistiques sur la ligne Douala-Ngaoundéré ralentissent les cargaisons. La stratégie de diversification annoncée par le ministère du Commerce vise l’aluminium et l’or, sans calendrier chiffré à ce stade.
Stress climatique et productivité agricole
Selon l’Observatoire national sur le changement climatique, la fréquence des inondations a doublé depuis 2010. Les épisodes de sécheresse dans l’Extrême-Nord ont réduit de 15 % les rendements de sorgho, accentuant la dépendance alimentaire et les pressions migratoires vers les villes côtières.
La Banque mondiale estime le coût annuel des catastrophes climatiques à 0,7 % du PIB. Pour l’instant, le budget climat repose essentiellement sur des subventions européennes, laissant planer le risque d’un trou de financement si Bruxelles revoyait ses priorités.
Secteur bancaire sous surveillance internationale
Le Groupe d’action financière a maintenu en juin le Cameroun sur sa liste grise. Les établissements doivent renforcer leurs dispositifs LBC-FT d’ici fin 2025. « Un retrait prolongé rallongerait les délais de paiement des fournisseurs étrangers », alerte Emmanuel Njoh, président de l’Association des banques.
D’après la Commission bancaire d’Afrique centrale, les créances douteuses représentent 16 % du portefeuille total, un ratio supérieur à la norme régionale de 10 %. La concentration sur la dette souveraine complique la tâche de recapitalisation si un choc externe survenait.
Scénarios pour les investisseurs
Un scénario de base anticipe la reconduction de l’équipe économique actuelle et la prolongation du programme FMI avant mi-2025, limitant l’écart de taux à 600 points de base au-dessus du Trésor américain. Un défaut reste improbable, mais une restructuration douce n’est plus taboue.
Dans une situation négative, la combinaison vieillesse-instabilité renchérirait les coûts d’emprunt, forçant des arbitrages budgétaires sur la masse salariale et les subventions. Les agences de notation évoquent une perspective de dégradation si les réserves de change retombaient sous quatre mois d’importations.
Et après ?
Le gouvernement promet, dans la loi de finances 2025, un plan triennal de consolidation piloté par le ministère de l’Économie. Un accord rapide avec le FMI, couplé à une clarification de la succession, servirait de rampe crédible. Faute de quoi, le mur de la dette demeurera menaçant.