Un mouvement structurant pour la finance camerounaise
En scellant, le 15 juillet, un accord avec Société Générale pour le rachat de 58,08 % du capital de sa principale filiale locale, Yaoundé entérine une recomposition majeure du paysage bancaire camerounais. À l’issue de l’opération, l’État détiendra 83,68 % de Société Générale Cameroun (SGC), confirmant ainsi son statut d’actionnaire de référence dans un établissement qui gère près de 20 % des dépôts du pays selon la Commission bancaire de l’Afrique centrale. S’il s’agit, pour le groupe français, d’un recentrage stratégique sur des marchés jugés plus rentables, c’est pour le Cameroun un pas supplémentaire vers ce que le ministre des Finances, Louis Paul Motazé, qualifie de « maîtrise nationale des outils de développement ».
La transaction, dont le montant n’a pas été officiellement révélé, intervient dans un contexte où plusieurs maisons mères européennes se délestent d’actifs jugés périphériques pour répondre aux exigences prudentielles de Bâle III. Par contraste, la décision camerounaise s’inscrit dans la dynamique plus large d’une Afrique centrale qui aspire à accroître l’ancrage local du capital bancaire.
Les motivations stratégiques de Yaoundé
Selon des sources proches du dossier, le gouvernement camerounais voit dans cette prise de contrôle renforcée un double levier : consolider la capacité de financement de l’économie réelle, notamment des PME, et disposer d’un instrument macroprudentiel plus maniable à l’heure où la diversification hors pétrole devient impérative. « Le canal du crédit reste l’une des marges de manœuvre budgétaires les moins exploitées », insiste un haut responsable du Trésor.
La souveraineté monétaire demeurant de compétence communautaire dans la zone CEMAC, la souveraineté financière prend donc une dimension stratégique accrue. En internalisant une part plus importante des profits distribués et de la gestion des risques, l’État vise à mieux arrimer les flux de capitaux aux priorités du Plan national de développement 2020-2030, orienté vers les infrastructures et l’industrialisation légère.
Quelles répercussions pour la place financière de la CEMAC
La Bourse des valeurs mobilières d’Afrique centrale (BVMAC), basée à Douala, pourrait tirer profit de cet actionnariat étatique accru si une part du capital venait, à terme, à être flottée. Plusieurs analystes estiment qu’une introduction même partielle contribuerait à étoffer la capitalisation boursière régionale, encore modeste par rapport à la moyenne subsaharienne.
Au sein de la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC), l’opération est jugée « globalement neutre » pour la stabilité systémique, car le ratio de couverture des risques restera conforme aux standards communautaires. Toutefois, le récent tour de vis monétaire décidé par la BEAC pour contenir l’inflation pourrait complexifier la tâche du nouvel actionnaire majoritaire lorsqu’il s’agira de stimuler le crédit dans un environnement de coûts financiers plus élevés.
Le regard des investisseurs internationaux
Du côté des marchés, la cession est interprétée comme la suite logique de la stratégie annoncée par Société Générale, qui privilégie désormais l’Europe et les filiales à forte rentabilité en Afrique du Nord. Pour les fonds d’investissement présents sur la dette souveraine camerounaise, l’opération n’est pas perçue comme une nationalisation à risque mais plutôt comme un réalignement d’intérêts, le contrat de cession incluant, d’après nos informations, des clauses de continuité technique garantissant au moins dix-huit mois de transition.
Un banquier basé à Londres note que « l’appétit pour le risque africain reste conditionné à la gouvernance, non à la couleur nationale du capital ». En clair, le défi résidera dans la capacité de l’État camerounais à préserver la rigueur de gestion ayant historiquement positionné SGC parmi les établissements les plus performants de la sous-région.
Enjeux de gouvernance et de souveraineté économique
Pour conjurer la tentation d’une gestion trop politisée, Yaoundé envisage, selon plusieurs sources concordantes, de maintenir un conseil d’administration mixte où siégeront des administrateurs indépendants et un représentant minoritaire du groupe français jusqu’en 2026. L’objectif est de protéger la banque des risques de dérive de portefeuille tout en assurant un transfert progressif d’expertise.
Sur le plan juridique, l’opération devra recevoir l’agrément de la Commission bancaire, laquelle devrait exiger un plan d’adéquation des fonds propres. L’État aura donc à injecter des ressources additionnelles pour maintenir les ratios prudentiels, effort budgétaire qui pourrait être compensé par la réallocation de dividendes antérieurement expatriés.
Résonances régionales et prudence congolaise
Dans la République du Congo voisine, où la présidence de Denis Sassou Nguesso a privilégié une approche graduelle de la réforme bancaire, l’acquisition camerounaise est observée avec intérêt mais sans empressement à imiter. Brazzaville, qui s’appuie déjà sur des partenariats public-privé pour sa réforme du crédit agricole, privilégie une montée en puissance progressive de ses fonds souverains plutôt qu’un rachat massif d’actifs de banques étrangères.
Des diplomates basés à Libreville estiment que l’option congolaise reflète « une prudence budgétaire conforme à la conjoncture pétrolière actuelle ». Le modèle camerounais ne constitue donc pas un précédent contraignant mais plutôt un cas d’école régional, offrant la preuve que la recomposition du capital bancaire peut être menée sans heurts, pour peu que la gouvernance et la supervision demeurent robustes.
Perspectives à moyen terme
La réussite de l’opération reposera sur trois paramètres : l’intégration fluide des systèmes d’information, la fidélisation d’une clientèle corporate exigeante et la capacité à mobiliser l’épargne nationale via des produits à long terme. En toile de fond, la transition énergétique et la digitalisation des services financiers ouvriront de nouvelles marges de croissance si elles sont adossées à un capital désormais majoritairement public.
En définitive, le rachat de Société Générale Cameroun par l’État témoigne d’un rééquilibrage des rapports de force entre capitaux internationaux et exigences de souveraineté. À l’heure où plusieurs économies d’Afrique centrale repensent leur modèle de développement, l’expérience camerounaise pourrait, sans s’ériger en dogme, nourrir un débat régional sur la meilleure articulation entre contrôle national, gouvernance et attractivité pour les investisseurs.
