Enjeux mondiaux de la LCB/FTP
La lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, fer de lance des standards du Groupe d’action financière, s’impose désormais comme un indicateur décisif de crédibilité pour les États. Être inscrit sur la liste grise du GAFI freine investissements, partenariats et coopération.
À Brazzaville, les autorités ont pris acte de cette dynamique internationale dès la loi n°9-22 promulguée en mars 2022. Elles visent à conjuguer conformité normative, sécurité intérieure et ouverture économique, trois objectifs jugés indissociables par les décideurs interrogés dans la capitale.
Une démarche nationale proactive
C’est dans ce contexte qu’Isaac Gervais Onghabat, directeur des Risques et Contrôles à la Direction générale du Contrôle d’État, propose l’élaboration d’une cartographie nationale des risques. Il plaide pour qu’elle devienne « le document de référence » du dispositif congolais de LCB/FTP.
Pour le haut fonctionnaire, la cartographie permettra d’identifier, de quantifier et de hiérarchiser chaque menace, depuis les flux financiers transfrontaliers jusqu’aux nouveaux outils numériques. « L’approche par les risques conditionne l’efficacité. Sans elle, on disperse les moyens », insiste-t-il.
Le ministère des Finances voit dans cette initiative un prolongement logique du plan national de développement 2022-2026, axé sur la diversification économique et la confiance des partenaires. Un conseiller confirme que la proposition « sera examinée dans un esprit de consolidation ».
La cartographie des risques expliquée
Concrètement, le dispositif envisagé dresserait un inventaire de tous les secteurs exposés : banque, microfinance, hydrocarbures, jeux, commerce d’or, cryptomonnaies naissantes. Chaque secteur recevrait un score agrégé combinant fréquence, impact potentiel et degré de conformité des acteurs.
Cette matrice alimenterait une base de données partagée entre la Cellule nationale de renseignement financier, le parquet, les régulateurs sectoriels et les banques. Elle serait actualisée chaque semestre pour suivre l’évolution des menaces, comme le recommande la norme ISO 31000 sur la gestion des risques.
L’élaboration serait confiée à un comité national de maîtrise des risques, instance où siégeraient ministères régaliens, professionnels du chiffre et représentants du secteur privé. Cette architecture collégiale vise à accroître la fiabilité des données et à ancrer la prévention au plus près du terrain.
Coopération GAFI-GABAC, un levier essentiel
Le Congo-Brazzaville est membre du GABAC, organe spécialisé de la CEMAC chargé de transposer les quarante recommandations du GAFI. La cartographie envisagée constituerait un argument solide lors de la prochaine mission d’évaluation mutuelle prévue à Libreville en 2025.
Dans un entretien, un expert du GABAC rappelle que « les pays capables de prouver la maîtrise de leurs risques sortent plus vite des procédures renforcées ». Il cite l’exemple récent du Cameroun, retiré de la liste grise grâce à un inventaire sectoriel similaire.
Brazzaville entend aussi utiliser l’outil pour renforcer la coopération judiciaire avec ses voisins et bloquer les flux criminels transfrontaliers. Le procureur général souligne que « la donnée partagée sur le risque justifie des enquêtes conjointes plus rapides » et facilite les demandes d’entraide.
Impact attendu sur l’attractivité économique
Sur le plan financier, la cartographie pourrait réduire les coûts de conformité supportés par les banques, estimés à 1,2 % de leur produit net en 2023. En ciblant mieux les contrôles, les établissements gagneraient en efficacité sans sacrifier la vigilance requise par leurs partenaires internationaux.
Les investisseurs étrangers, notamment dans les hydrocarbures et l’agro-industrie, suivent avec attention cette évolution. « La transparence sur le risque est devenue un critère aussi important que le cadre fiscal », observe un analyste basé à Johannesburg qui voit dans ce projet un signal de maturité réglementaire.
Défis de mise en œuvre et pistes d’action
La principale difficulté réside dans la collecte de données fiables, en particulier auprès des entreprises non régulées. Le comité envisagerait de coupler déclarations obligatoires, audits inopinés et outils de data-mining pour consolider l’information, tout en veillant à ne pas alourdir la charge administrative des PME.
Sur le plan budgétaire, le ministère des Finances étudie la création d’un fonds dédié, abondé par une fraction des amendes liées aux infractions de blanchiment. Ce mécanisme autofinancé offrirait une visibilité pluriannuelle et garantirait la formation continue des agents chargés des contrôles.
Regard des partenaires internationaux
La Banque mondiale, sollicitée pour un appui technique, salue déjà « une démarche conforme aux meilleures pratiques ». Un porte-parole à Washington ajoute que la cartographie « facilitera la notation souveraine et l’accès aux marchés », des indicateurs scrutés par les agences de crédit.
Au siège du FMI, on rappelle que l’évaluation des risques permet d’ajuster plus finement les politiques de change et d’éviter les sorties illicites de capitaux, problématique récurrente dans plusieurs économies émergentes. Brazzaville, notent les analystes, pourrait ainsi consolider la stabilité de sa devise.
Si la cartographie est adoptée d’ici la fin de l’année, le Congo-Brazzaville rejoindra le cercle restreint des États d’Afrique subsaharienne dotés d’un outil national de gestion prospective des risques LCB/FTP. Pour les diplomates en poste, c’est aussi un message de confiance adressé aux partenaires.
Les partenaires européens, de leur côté, évaluent déjà l’intégration possible de la cartographie dans leurs procédures KYC.
