Un bilan épidémiologique préoccupant
Les relevés consolidés par la Direction de la surveillance épidémiologique font apparaître, pour la période du 30 juin au 31 juillet 2025, cent quatre-vingt-quinze cas suspects de choléra, dont six confirmés biologiquement. Douze décès ont été recensés, soulignant la virulence d’une pathologie qui peut entraîner une déshydratation létale en moins de vingt-quatre heures si les soins ne sont pas administrés à temps. Ce tableau, certes contenu, interpelle néanmoins les autorités sanitaires, car la dynamique exponentielle observée dans certains arrondissements périphériques laisse planer le risque d’une extension rapide le long des grands axes fluviaux reliant la capitale aux départements voisins.
Dans ce contexte, le ministère de la Santé, soutenu par l’Organisation mondiale de la santé et plusieurs partenaires techniques, a réactivé le mécanisme national de gestion des urgences sanitaires. La mesure emblématique demeure l’actualisation du plan de contingence qui, depuis l’expérience d’Ewo en 2017, s’appuie sur une surveillance communautaire renforcée et un pré-positionnement de kits de réhydratation orale dans les centres de santé intégrés.
Convergence des acteurs publics et associatifs
La Maison de la société civile a servi de laboratoire d’idées, le 7 août dernier, lors de l’atelier piloté par la Coordination nationale des organisations de la société civile pour la réponse communautaire multisectorielle contre les épidémies. En ouverture, Eugène Loutonadio, directeur de cabinet du secrétaire permanent du Conseil consultatif de la société civile et des ONG, a souligné « la nécessité d’une symphonie d’actions entre État, partenaires et communauté pour parer à toute flambée ». La présence, à ses côtés, du ministre de la Santé a conforté ce message d’unité.
Au-delà des déclarations, l’atelier a permis de formaliser une matrice d’intervention répartissant les responsabilités: identification précoce des cas par les relais communautaires, acheminement rapide des alertes via la plateforme téléphonique 3434, et prise en charge gratuite dans les unités de traitement du choléra réhabilitées grâce à un financement conjoint de la Banque mondiale et de l’Union africaine.
Le pari de l’engagement communautaire
Si la disponibilité des solutions de réhydratation constitue un acquis, les épidémiologistes rappellent que 80 % des transmissions se jouent au sein des ménages. D’où l’importance accordée à la pédagogie de proximité. Dès la clôture de l’atelier, une première équipe s’est déployée depuis le Parc zoologique vers le Beach et le port de Yoro, lieux de forte mobilité transfrontalière. Slogans, démonstrations de lavage des mains et dialogues en langues locales ont rythmé une opération qui, selon Markos Hollat Louis, coordonnateur général de la plateforme, « vise à transformer chaque chef de famille en sentinelle sanitaire ».
L’accent mis sur l’eau potable, la cuisson suffisante des aliments et la couverture systématique des denrées reflète la volonté de s’attaquer aux déterminants structurels de la maladie. En appui, la Société nationale de distribution d’eau a annoncé la chlorination préventive de plusieurs forages, tandis que la mairie de Brazzaville renforce la surveillance des marchés à ciel ouvert.
Défis logistiques et leviers diplomatiques régionaux
Le bassin du Congo constitue un continuum hydrologique dans lequel la porosité des frontières est telle que le contrôle sanitaire isolé d’un seul État reste illusoire. Les autorités congolaises ont donc sollicité, lors de la dernière réunion de la Commission du fleuve Congo-Oubangui-Sangha, un partage en temps réel des données épidémiologiques avec la République démocratique du Congo et la Centrafrique. Cette diplomatie sanitaire, saluée par les ambassadeurs accrédités à Brazzaville, s’inscrit dans la lignée de l’Agenda 2063 de l’Union africaine, qui promeut la sécurité sanitaire collective.
Par ailleurs, la logistique demeure un écueil. Acheminer des pastilles de chloration vers les districts enclavés du Pool ou de la Likouala suppose de stabiliser les pistes secondaires souvent impraticables en saison des pluies. Le ministère de l’Équipement, appuyé par la Banque africaine de développement, œuvre à l’entretien d’axes prioritaires, démonstration que la riposte choléra nécessite une synergie interministérielle.
Vers une gouvernance sanitaire résiliente
Au-delà de la présente flambée, la stratégie gouvernementale vise une résilience de long terme. Le plan national de développement sanitaire 2022-2026 consacre un chapitre aux maladies hydriques. Il prévoit la formation continue des biologistes sur la détection de Vibrio cholerae, ainsi que l’intégration de capteurs connectés dans les stations de traitement des eaux. La société civile y est identifiée comme partenaire-clé pour le suivi citoyen des indicateurs.
Dans un contexte où l’impact économique d’une épidémie peut grever près de 1 % du PIB, selon la Commission économique pour l’Afrique, les pouvoirs publics multiplient également les incitations à l’investissement dans l’assainissement urbain. De récents partenariats public-privé pour la construction de réseaux d’égouts à Makélékélé et Ouenzé traduisent cette volonté de prévenir plutôt que guérir.
En définitive, la campagne de sensibilisation lancée à Brazzaville n’est pas seulement une réponse circonstancielle. Elle cristallise une nouvelle culture de prévention où l’État impulse, la société civile relaie et les partenaires internationaux consolident. À ce prix, la capitale entend transformer une menace sanitaire récurrente en opportunité de renforcer la cohésion autour d’un bien collectif: la santé publique.
